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Française. La piété du monde chrétien, depuis les grands pèlerinages du moyen âge, était devenue beaucoup moins voyageuse ; on avait les madones de son pays, on allait moins souvent trouver les autres. Le demi-siècle qui vient de s’écouler a ressuscité les grands courans de ferveur internationale ; et leur rendez-vous, c’est la France. Leur flux s’ébranle vers elle, confiant dans le reflux des grâces. Il y a là, dans l’histoire religieuse des foules, un phénomène dont tout spectateur, ne fut-il ni Français ni catholique, conviendra facilement, comme l’on convient d’un fait d’observation.

Affaire de mode, diront certains, peu respectueux pour le suffrage universel des âmes croyantes. Mais ce qu’ils appellent une mode, le Saint-Siège l’encourage en proclamant par les béatifications, par les canonisations, que « si le surnaturel vit partout dans le monde, il vit surtout en France : » ce mot est de Pie X. J’ai sous les yeux un livre allemand, antérieur de peu de mois à la guerre, intitulé : La Sainteté de l’Église au XIXe siècle ; j’y vois que sur dix-huit prêtres séculiers de ce siècle qui sont déjà saints, bienheureux ou vénérables, neuf sont des Français, dont Vianney, curé d’Ars, mène le chœur ; que parmi les religieux et religieuses devenus vénérables figurent au moins huit Français et une dizaine de Françaises, et que les trois religieuses qui furent béatifiées sont trois Françaises, fondatrices d’ordres. Voilà le dernier mot de l’Église elle-même sur ce que le catholicisme universel doit à la France d’hier : nous n’y ajouterons rien.


En 1794, alors que sur nos échafauds des têtes de prêtres succédaient à la tête du Roi, Joseph de Maistre connaissait à l’étranger des catholiques qui souhaitaient la défaite de la France par les armées coalisées. Interpellant l’un d’entre eux, il lui écrivait :


Mon opinion se réduit uniquement à ceci : que l’empire de la coalition sur la France et la division de ce royaume seraient un des plus grands maux qui pussent arrivera l’humanité… Je vois dans la destruction de la France le germe de deux siècles de massacres, la sanction des maximes du plus odieux machiavélisme, l’abrutissement irrévocable de l’espèce humaine, et même, ce qui vous étonnerait beaucoup, une plaie mortelle à la religion.


Ainsi pensait le futur auteur du Pape, à l’époque même