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aimans et dans le tendre murmure des lèvres reconnaissantes. » La tendresse noble qui unit d’une fraternité de combat Hermès et Pallas, Apollon et Artémis, la tendresse jeune et mystique de Caléduse pour Hylas, réalisent à leur manière le paradis de nos rêves. La puissante séduction sensuelle qui émane d’Héra, plus encore d’Aphrodite, la grande bacchanale qui entraîne dans son vertige les hommes et les dieux, sont encore au nombre de ces forces qui soutiennent et font durer l’univers et dans lesquelles un poète adore la toute-puissance de la beauté. « Sois la bienvenue, ô femme ! s’écrie Zeus, seul mensonge qui vaille d’être vécu ! » Et quand Aphrodite propose à l’énigme du monde cette simple solution : « Le but de l’univers, c’est moi, » il n’y a pas de protestation parmi les Immortels.

Spitteler aime l’antiquité en humaniste et en peintre, comme l’aimaient les hommes de la Renaissance, parce qu’elle est une force d’affranchissement et une source inépuisable de beauté. N’oublions pas que Bâle est, depuis le XVIe siècle, un centre d’humanisme et qu’elle a produit au XIXe siècle un peintre, Boecklin, dont l’inspiration n’est pas sans analogie avec celle de Spitteler. « Ce qui m’a séduit dans la mythologie grecque, a dit Spitteler, c’est l’effet pittoresque du nu en plein air, dans un décor sylvestre ou marin[1]. » A la splendeur des personnages divins s’harmonise la majesté du paysage aux grandes lignes calmes, aux couleurs brillantes et pures, paysage héroïque dont l’ordonnance large et symbolique ne nuit pas à la précision gracieuse du détail. Ce monde divin que Spitteler ressuscite est à la fois analogue aux mythologies antiques et différent d’elles. Non seulement à cause d’amusans anachronismes qui introduisent dans l’Olympe l’ascenseur, la machine à vapeur, le cinéma, l’aéroplane et le dirigeable, mais par la préoccupation morale qui est au fond des plus brillans épisodes. S’il faut lui trouver chez nous des termes de comparaison, je dirai que pour l’abondance et la plasticité des images, pour l’éloquence dételle véhémente apostrophe, Spitteler rappelle par momens Leconte de Lisle, pour le sentiment panthéiste de la nature Henri de Régnier et Maurice de Guérin, pour la verve héroï-comique certains de nos poètes du XVIIe siècle. Mais c’est du

  1. Voir par exemple la vision du Paradis terrestre (Extramundana) et divers passages du Printemps Olympien (Aventures d’Aphrodite, Poséidon et la néréide Elissa, jeux nautiques etc.)