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en temps de guerre, plaisir et réconfort à parcourir ces paysages élyséens, à fréquenter cette race royale de héros et de dieux dont l’énergie n’est pas brutale, dont l’héroïsme n’est pas guindé, dont l’ambition n’est pas cruelle, ni oppressive pour autrui. Héros dont le plus sublime, Apollon, après avoir frappé ses ennemis, trouve encore des paroles de pitié et de justice et maudit, du haut de sa grande âme pacifique, la force à laquelle il a été contraint de recourir. C’est cette nuance d’énergie si profondément humaine qui nous fait aimer la pensée de Spitteler, et nous permet de reconnaître en lui un homme de notre race et de notre époque.

Il y a, dans l’œuvre de Michel-Ange, une statue étrange et belle : celle que le maître a nommée le Génie victorieux. Ephèbe svelte et musculeux dont l’attitude dit la vigueur et l’agilité, il vient de remporter une facile victoire sur la brute que son genou presse et terrasse encore. Mais, à l’instant de consommer son triomphe, il semble hésiter et réfléchir : le geste de son bras s’est alangui, sa bouche exprima la tristesse et son regard semble chercher, au-delà du monde visible, un autre but qui ressemble mieux à son rêve. Il ira jusqu’au bout de sa besogne, sans doute ; son front volontaire, la tension de tous ses muscles nous en sont garans. Mais cette ombre de mélancolie posée sur la joie athlétique de l’antiquité païenne, cette façon chrétienne et moderne de pressentir l’infini et d’aspirer à une harmonie plus parfaite de l’idéal et du réel, cette beauté charnelle pénétrée et tourmentée par l’esprit, c’est le génie de la Renaissance. C’est aussi, dans ses meilleurs jours, le génie de Carl Spitteler.


G. BIANQUIS.