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mais il est, parmi les princes, un lettré plus attentif aux livres des sages qu’aux lèvres des femmes. L’Oiseau-Fleur réunit la sagesse avec le sourire et conclura : « Je me gardais pour toi et je te remercie d’être venu. » Ces derniers mots sont beaucoup moins particuliers que les précédens et, dans les siècles et les climats divers, ont dû être dits plus d’une fois, souvent peut-être. L’art des écrivains attachés à l’exotisme savant nous amuse par le jeu malin de la différence et de l’analogie.

Comment Judith Gautier prit-elle — avec chagrin sans doute — les nouveautés politiques, et républicaines, et parlementaires, de la Chine ? Mais, en Chine, la pire modernité a l’air médiéval. Cette révolution ne date pas de très longtemps, où des Chinois criaient : « En bas les Tsings ! en haut les Mings ! » et d’autres : « En bas les Mings ! en haut les Tsings ! » Et les partisans des Mings accostaient ainsi les passans : « Oui, à quiconque criera, avec son cœur comme avec sa bouche : « En haut les Mings, en bas les Tsings ! » je donnerai un liang d’or. » Cette préparation de l’opinion publique n’est pas une rareté chinoise. Mais l’auteur du Dragon impérial s’est souvenu probablement de cette observation de Racine : « On peut dire que le respect que l’on a pour les héros augmente à mesure qu’ils s’éloignent de nous ; major e longinquo reverentia… » Les politiciens de Chine sont des héros attrayans. La Chine est loin dans l’espace et le temps ; et la Chine contemporaine, loin dans le temps. C’est pour cela que la pensée de Judith Gautier s’y plaît à merveille. Le Dragon impérial, entre tous ses livres, a une allégresse ravissante. L’on y aime surtout un lettré dont le nom « se compose de trois syllabes aimables qui font le bruit d’une petite pièce d’argent remuée dans un plat de cuivre, » Ko-Li-Tsin. Jeune encore et vêtu de clair, le voici : « Sur deux robes de crêpe grésillant, il portait un surtout en damas rosâtre qu’ourlait une haute bordure de fleurs d’argent et que serraient à la taille les enlacemens d’une écharpe frangée, d’où pendait un petit encrier de voyage à côté d’un rouleau de papier jaune. Un grand collet de velours tramé d’argent lui couvrait les épaules et, sur son chapeau de velours noir, à grands bords relevés, qu’ornaient un effilé rouge et une mince plume verte, le bouton de corail rose uni des lettrés de première classe se dressait flèrement comme la tête d’un jeune coq. » Plus étonnant que son costume est son visage, si mobile qu’on sait que nul de ses sentimens ne demeure caché, soit que ses traits se tendent, se rident, s’allongent ou se relâchent sous l’influence de son émoi perpétuel. « Ses petits yeux roulaient avec