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Il dut connaître François Buloz à l’imprimerie de la rue du Cadran, car dès la fondation de la Revue, le nom du poète figurait au sommaire, accompagnant les Scènes du Désert, puis les Consultations du docteur Noir. A propos de ce dernier livre, F. Buloz écrivait à Vigny, au cours de la publication : «… J’avais besoin de vous voir pour vous exprimer tout le plaisir, toute l’admiration que m’a fait éprouver Stello, et cependant, je ne suis qu’à la fin du réfectoire. Quand une Revue est arrivée à publier d’aussi belles choses, elle est la première du monde. C’est à vous que je dois cela. Ma reconnaissance vous est acquise[1]. » Les relations de F. Buloz et d’A. de Vigny furent cordiales, et demeurèrent, en somme, fidèles, — malgré Sainte-Beuve et Gustave Planche : le premier, au début, par son idolâtrie exclusive pour Hugo, le second par sa critique inexorable, avaient failli séparer le fondateur de la Revue de son collaborateur.

Il vint un temps où l’on se plut à opposer Hugo à Vigny. C’est une de nos manies françaises : la comparaison. Pourtant, quoi de plus dissemblable que le génie de ces deux poètes ? Cette rivalité fut douloureuse à Vigny, et lorsque la Revue des Deux Mondes elle-même inséra certaine note de Sainte-Beuve sur Victor Hugo, à propos des Feuilles d’Automne et du Roi s’amuse, Vigny prit cette insertion au tragique et en fit une affaire personnelle.

Sainte-Beuve, qui avait ses raisons, ne cessait de porter Hugo aux nues ; il disait : « A peine âgé de trente ans, il s’est fait dans notre littérature une place unique et immense ; drame, roman, poésie, tout relève aujourd’hui de cet écrivain[2]. » Vigny, blessé, se plaignit à Buloz… mais comment revenir sur de semblables paroles : « tout relève aujourd’hui de cet écrivain ? » Le mécontentement de Vigny, connu à la Revue et au dehors, amusa la galerie, et Sainte-Beuve écrivit à Hugo[3] : « J’ai su que vous saviez les misères d’un gentilhomme de notre connaissance ; un homme qui en est venu là ne fera plus que de la satire, etc. » ce en quoi Sainte-Beuve se trompait !

Cependant, l’auteur de Stello exigeait une note rectificative

  1. Citée par Ernest Dupuy, Alfred de Vigny, tome II.
  2. 30 octobre 1832. Cette note n’est pas signée.
  3. 13 novembre 1832.