Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/829

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

c’était mon premier qui tombait de l’étage au-dessus. » Avec son « terrible zoiseau » il avait livré bataille aux trois de « l’étage au-dessus » et les avait successivement abattus. « Le premier, dit-il encore, avait sur lui une carte à moitié brûlée qu’on lui avait certainement remise le matin même, d’après la date, et qui portait en boche : « Je pense que tu as beaucoup de succès en aviation. » J’ai sa photo avec sa Gretchen. Quelles têtes de Boches ! Il avait les mêmes décorations que celui des bois de Bus… » N’est-ce pas Achille mettant le pied sur Hector et se parant de ses trophées ? Il a un cœur de pierre pour ses ennemis. Il voit en eux les maux faits à la France, l’envahissement de nos territoires, la destruction de nos villes et de nos villages, le malheur déchaîné sur nous, la guerre monstrueuse faite aux innocens et nos morts, tant de morts que pleurent les foyers désertés. Nulle pitié n’entre en lui : il est le justicier. Il est le justicier, et quand un adversaire qu’il a forcé d’atterrir est blessé, il lui porte secours avec toute la générosité française.

Trente secondes ont séparé pour lui le Capitole de la Roche Tarpéienne. Après sa triple victoire, c’est la chute invraisemblable, inouïe, fantastique, de 3 000 mètres de hauteur, le Spad lancé à toute vitesse contre le sol, rebondissant pour se ficher en terre comme un piquet. « Je suis resté totalement abruti pendant 24 heures, mais m’en tire avec énormément de courbature (surtout à l’endroit de mes bretelles looping qui m’ont sauvé la vie), et une entaille au genou droit offerte par ma magnéto de départ. J’ai ruminé pendant 3 000 mètres de dégringolade la meilleure faconde m’emboutir (j’avais le choix de la sauce) : je l’ai trouvée, mais elle présentait encore 95 pour 100 de chances pour la croix de bois. Enfin, all right  » Et en post-scriptum : « Sixième fois que je suis descendu : record ! »

Le lieutenant V. F… de l’escadrille des Dragons, heurté à 3 000 mètres en l’air par l’avion d’un camarade, fit une chute pareille sur le bois d’Avocourt et fut pareillement stupéfait de se retrouver entier. Il n’avait pas cessé de manœuvrer pendant les cinq ou six minutes de la descente. « Bientôt, a-t-il écrit, les arbres de la forêt de liesse apparaissent ; ils me semblent même s’approcher à une allure vertigineuse. Je coupe le contact pour ne pas prendre feu, et quelques mètres avant d’arriver sur eux je cabre de toutes mes forces mon appareil