Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/860

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’insatiable ardeur, cet élan de tout l’être vers le but. S’il s’arrête, il a encore l’air du coureur antique.

Ses parens ne perdent pas un de ses gestes, pas un de ses mouvemens. Ils boivent ses paroles, ils le regardent, ils l’entendent vivre. Son rire résonne en eux. Ils croient en lui, ils sont sûrs de lui, ils veulent être sûrs de lui. Et, sentant leur certitude, naturelle ou commandée, je me prends à contempler avec mélancolie le dieu fragile de l’aviation, pareil à une de ces statuettes trop fines qu’on craint de voir brisées.

Il parle avec passion, toujours avec passion, de ses combats dans les airs. Pourtant, un autre souci l’emporte à cette heure sur la chasse même, souci, qui, d’ailleurs, s’y rapporte. Il attend un avion magique dont il a donné dès longtemps le projet, pour la construction duquel il n’a pas rencontré tout le zèle souhaité ; avec quoi il fera plus de dégâts encore.

Puis, ce sont les albums de ses photographies. Photographies du ciel que peuplent les éclatemens des obus ou les avions ennemis. Il y en a une où l’on voit un appareil en flammes, et, à une certaine distance, l’aviateur qui tombe. La victime a été enregistrée. Ce souvenir met en joie le vainqueur.

J’écarte l’impossible question : — Et vous ? Parmi tant de combats, la pensée ne vous vient-elle pas ?… Il est si vivant qu’elle ne peut pas lui venir. A-t-il compris ? Il explique si simplement :

— En l’air, on a beaucoup de temps. Pendant le combat on n’en a point. J’ai été descendu six fois. Et chaque fois, j’ai eu tout le loisir d’y penser.

Là-dessus, il rit, d’un rire d’enfant. Une chance spéciale le protège. Il reçut dans un combat trois balles qui, toutes trois, furent détournées par des obstacles inattendus. Toutes trois.

Voici, maintenant, des photographies de lui-même. Ce n’est pas lui qui les a collectionnées. Ce n’est pas lui qui les présente. Depuis sa plus tendre enfance, on peut le suivre dans la vie. Petit bébé en chemise, il a déjà ses yeux brillans et son ardeur. Le collégien a son beau port de tête. La guerre le prend presque collégien : une bonne figure adolescente, les joues pleines, l’air bien posé et paisible. Un peu plus tard, les traits sont moins naïfs, encore ingénus, mais plus tendus. Plus tard encore, le regard devient plus sévère, les joues plus allongées et plus maigres. Que se passe-t-il donc ? C’est le travail de la