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quand il déclarait à La Ferronnays qu’il ne poursuivait plus que deux buts : le maintien de la paix et une lutte sans merci contre les hommes de révolution et de désordre.

Une autre circonstance motivait les dispositions que nous essayons d’analyser. Au cours de son existence, il ne s’était jamais piqué de fidélité conjugale. Marié tout jeune par sa grand’mère Catherine à cette séduisante princesse de Bade, devenue l’impératrice Elisabeth, dont le grand-duc Nicolas Michaïlowitch nous a révélé l’esprit, la grâce et les vertus en publiant les lettres qu’elle écrivait à sa mère[1], il l’avait souvent délaissée sans même essayer de lui cacher ses infidélités dont l’une au moins avait fait scandale par son éclat et sa durée. En 1806, lorsqu’après Austerlitz il était rentré à Saint-Pétersbourg, tandis que s’agitaient autour de lui les femmes de la cour qui, nous dit le grand-duc, son historien, « se croyaient quelque droit sur son cœur, » l’une d’elles, la princesse Narychkine, l’avait emporté sur toutes ses rivales, rendant ainsi publiques ses relations avec l’Empereur, enveloppées jusque-là de mystère. « La belle Polonaise ne les cache plus ; elle obtient tous les jours des faveurs et tout ce qui brigue les honneurs de la cour est à ses genoux. » Puis la naissance d’une fille était venue accroître et prolonger durant plusieurs années l’influence qu’elle exerçait sur son impérial amant, à la grande douleur de l’épouse trahie dont l’unique enfant était morte au berceau et à qui ne restait plus l’espoir de trouver une consolation dans une maternité nouvelle.

Il suffit de rappeler cet épisode qui semblerait mieux à sa place à Versailles au temps de Louis XIV, pour faire comprendre qu’Alexandre avait beaucoup à se faire pardonner. Mais, lorsque, quasi quinquagénaire, dominé par des idées religieuses et peut-être apitoyé sur le sort de la noble créature dont la santé délicate et fragile faisait craindre qu’elle ne succombât sous le fardeau de ses peines conjugales, il revint vers elle, la joie dont elle fut saisie effaça tous ses griefs et sécha ses larmes ; elle ne songea qu’à jouir du bonheur dont elle avait désespéré et qui lui était rendu. Il fut à son comble lorsqu’en 1825, les médecins ayant été d’avis qu’elle devait passer sous un climat plus doux la mauvaise saison qui s’avançait,

  1. Je les ai analysées ici. Voir la Revue des 15 mars 1909 et 15 mars 1910.