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entre les deux frères toute à l’avantage du plus jeune, n’était pas moindre qu’au point de vue physique ; aussi, quiconque les voyait ensemble, l’un avec des allures de soudard, portant sur ses traits l’empreinte des origines asiatiques, l’autre si noble d’aspect, aussi bien fait pour plaire que pour commander et se faire craindre, on était conduit à regretter que la couronne fût destinée à Constantin et non à Nicolas. Ce regret existait chez leur frère comme chez l’impératrice douairière Maria Feodorowna, veuve de Paul Ier, que ses fils vénéraient ; il s’exprimait en marques de préférence qui n’échappaient pas à Constantin. « On le dit animé de quelque jalousie de l’espèce de prédilection que l’Empereur témoigne pour le grand-duc Nicolas qu’il considère comme son héritier. » Le diplomate qui fait cette remarque au mois d’août 1817 laisse d’ailleurs entendre que le césarewitch n’a nulle envie de régner. « Il se croit destiné à un règne court. On lui a entendu dire : — Si j’avais le malheur d’hériter de la couronne, elle ne resterait pas six mois sur ma tête. » Il n’est pas moins vrai que, d’après l’ordre de succession établi par feu Paul Ier, elle lui était destinée. Telle était donc la situation lorsque se produisit l’événement le mieux fait pour permettre à l’Empereur de faire triompher ses préférences.

Constantin, lorsqu’il avait été investi du gouvernement de » la Pologne, était marié depuis longtemps à une princesse de Saxe-Cobourg. Mais les époux vivaient mal, comme séparés et nous ne voyons nulle part que la femme ait accompagné son mari à Varsovie. Au cours des réceptions qui avaient suivi son arrivée, il remarqua parmi les dames de l’aristocratie polonaise qui lui furent présentées la fille aînée du comte Grundzinski, dont la beauté l’impressionna si vivement qu’il conçut le projet de l’épouser, convaincu qu’il serait aisé de rompre les liens de son premier mariage. Mais ce projet ne pouvait se réaliser qu’avec le consentement de l’Empereur. Sollicité par son frère revenu à cet effet à Saint-Pétersbourg, Alexandre commença par lui opposer un refus formel, puis, sur ses instances émues, il céda, mais à la condition que Constantin consentirait à ne jamais régner. Le grand-duc prit envers son frère l’engagement qui lui était imposé. Ceci se passait en 1819. L’année suivante, le 20 "mars, paraissait un ukase déclarant dissous son mariage avec la princesse Anna Feodorowna, née