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d’initiés, tout le monde ignore ? Que ne dirait-on pas et quelle arme il fournirait à la malveillance si, sans autre titre qu’un acte de renonciation que la calomnie présenterait peut-être comme n’ayant pas été volontaire, il se pressait de monter sur le trône, dans l’absence de celui que l’acte de succession y appelle directement ?

Nous savons par les confidences ultérieures de Nicolas au comte de La Ferronnays que tel est le drame intime dont les péripéties se sont déroulées dans sa conscience au matin de cette journée du 9 décembre[1], prologue des événemens tragiques qui devaient dix-sept jours plus tard ensanglanter la première journée de son règne. Nous savons aussi qu’il ne lui faut pas longtemps pour décider de sa conduite et prendre un parti. En quittant sa mère, il commence sans tarder à inviter les gens qu’il rencontre à prêter serment au successeur d’Alexandre. Il rassemble les gardes du palais :

« Mes frères, leur dit-il, nous avons perdu notre père ; prêtez avec moi serment de fidélité à Sa Majesté l’empereur Constantin 1er et jurez de le servir avec le zèle et le dévouement que vous avez toujours eus pour le service de son prédécesseur. »

Officiers et soldats n’hésitent pas et jurent. Il s’adresse de même à plusieurs seigneurs de la cour, à des officiers de la couronne, à des membres du Conseil de l’Empire, à tous ceux enfin qui sont accourus à la nouvelle de la mort de l’Empereur ; il les ramène à la chapelle et, là, leur fait répéter et même signer le serment qu’ont déjà prêté les officiers et soldats de la Garde.

Pendant que ces scènes avaient lieu, la cérémonie religieuse célébrée au couvent de Newski par les soins du Conseil de l’Empire s’achevait. L’office divin était presque terminé lorsqu’un officier mandé par Nicolas fait connaître la nouvelle de la mort de l’Empereur ; elle est accueillie par des gémissemens et des larmes ; puis, chacun se précipite vers le palais. Le président du Conseil de l’Empire, le vieux Lapoukine, allait en franchir le seuil, lorsqu’il est abordé par le prince Alexandre Galitzin, ancien ministre des Cultes, qui l’interroge : — « Où allez-vous ? — Chez l’Impératrice-mère. — Qu’allez-vous y

  1. J’ai adopté les dates que portent les rapports de La Ferronnays et qui sont celles du calendrier romain. Je rappelle que, pour les faire concorder avec celles du calendrier russe, il faut les reculer de onze jours.