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Restaient les no s 1 et 3, à peu près en état, calfatés, armés, démâtés, mais dont le temps avait manqué pour matelasser les bordages, et qui s’appelaient primitivement la Jacqueline et le Moqueur-des-Jaloux. L’enseigne Le Voyer commandait la vedette no 1 ; le no 3 était sous les ordres du second-maître Gourmelin. Debout, sans protection d’aucune sorte, « sur le pont de ses deux rafiots filant trois nœuds à l’heure, visibles de tous les points de l’horizon dans la plaine rase des Flandres, 24 hommes devaient franchir 1 500 mètres en terrain découvert pour aborder l’ennemi, traverser ses lignes bordant le canal et aller jusqu’à 800 mètres dans l’intérieur prendre les rues de Saint-Georges en enfilade. » Comme dit le fusilier Blandeau, un des héros de l’expédition, « ce n’était pas un petit travail. Un cuirassé, si un cuirassé pouvait remonter l’Yser, eût à peine suffi à la tâche. Or, en fait de cuirassé, nous avions deux sabots de vedettes qui pétaient un chahut de cent mille diables. » Ainsi montée, l’expédition semblait vouée d’avance à un échec certain ; tout au moins c’était la mort presque certaine pour ceux qui allaient en courir les chances et qui, exposés à combattre et peut-être à périr ensemble, ne se connaissaient pas une heure auparavant. Le plus grand nombre venaient seulement de rejoindre à Nieuport leur nouveau commandant. À cinq heures quarante-cinq, avant de donner le signal du départ, l’enseigne Le Voyer passa dans leurs rangs et leur serra la main à tous, puis, prenant la parole, il leur expliqua en quelques mots le but de l’expédition, son importance, ses difficultés et ses risques, ajoutant qu’ils avaient reçu lui et eux une mission de confiance, que c’était un honneur d’avoir été choisis pour l’exécuter, que la France avait les yeux sur ses marins et qu’elle savait qu’ils feraient leur devoir jusqu’au bout, quoi qu’il arrivât. Bien des harangues du même genre ont été prononcées par des chefs en des circonstances analogues, mais un patriotisme si communicatif émanait de celle-ci « que tous, vibrans d’émotion, dit le fusilier Blandeau, nous nous écriâmes : Vive la France ! » Et, à l’évocation des dangers qui les attendaient et dont une expérience du front déjà ancienne leur faisait sentir toute la gravité, « pas un de ces hommes, dit un autre témoin, ne baissa seulement les yeux. »

Parties à six heures du matin, en pleine nuit, les deux vedettes n’avaient aucun feu, aucun point de repère pour se