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voie encombrée où l’on ne voit pas le train de tête qui vous retarde ; puis un soir, comme par une trappe, on vous jetait dans cette citadelle… Il parlait maintenant plus vite ; il sortait de la citadelle, revivait en pensée là-haut ses jours d’épreuves, jusqu’à ce que sa mémoire, s’arrêtant sur un épisode particulièrement saisissant, après le préambule qui commence ce récit et où il exposait ses projets d’auteur dramatique improvisé, il se mit à conter d’un trait l’anecdote qui va suivre. C’est un souvenir tout personnel, un coin de la journée tragique du 23 juin 1916, la plus critique peut-être de toute la bataille, celle où l’on eut lieu de tout craindre et de douter de Verdun, — moins un récit de combat, qu’un « en marge » de la bataille, une suite de « choses vues » par un témoin plutôt que par un acteur du drame.

Maintenant, je laisse la parole au colonel. Je rapporte son discours tel que je l’ai entendu. Il y manquera malheureusement ce qui en faisait le plus grand prix : le décor, celle table, ce couvert de campagne, ce public de soldats en écoutant un autre, l’entourage profond de la citadelle, l’heure, l’éclairage, et surtout la figure elle-même du conteur et du héros de cette histoire.


II

« Vous connaissez, dit-il, le P. C.[1] des Quatre-Chcminées ? C’est là que j’étais le 23 juin, — le 23 juin I le jour où on a cru que Verdun y passerait. Ç’a été encore pis que le 21 février : les Boches ont bien failli emporter le morceau… Mais il s’agit des Quatre-Cheminées.

« C’est une espèce de cave au Nord-Est de Froideterre, à mi-côte du ravin des Vignes. On la reconnaît de loin sur le chemin de Thiaumont, à droite, en contre-bas de la route, à ces grosses cheminées de briques inexplicables, et qui du reste ne sont plus que deux, fort ébréchées encore, et de silhouette plus que bizarre. J’ai vu beaucoup de ruines dans cette guerre, je n’en ai pas vu de plus étranges que cette paire de moignons, ces deux manches à vent, ces lanternes dont rien ne justifie la présence dans le paysage. Il faut avoir le nez dessus pour reconnaître qu’elles correspondent à deux portes donnant accès

  1. P. C. — Poste de Commandement.