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choisissait ses mots, — ma fiancée m’attendait dans la voiture. Ella poussa un cri en me voyant ;

— Mais vous êtes affreux, mon ami ! »

Il ajouta, demi-rêvant :

« Il y avait dans le coupé une gerbe d’orchidées. Je faisais certainement là une drôle de figure. »

Il se tut. Vous ne voudriez pas que le colonel marquis de R… vous en racontât davantage sur ses petites affaires et vous introduisit dans son intimité… J’admirais cette chute brusque, cette histoire de bataille, d’épouvante et de folie, ce drame d’une nuit qui se terminait un peu mystérieusement par le départ d’un couple élégant dans le démarrage luxueux d’un bonheur parisien et par une signature de contrat ; — cette anecdote commencée aux Quatre-Cheminées, le matin de la journée la plus sinistre de Verdun, et qui s’achevait l’après-midi en événement mondain, du côté de l’Avenue du Bois, — ce cauchemar d’Edgar Poë marié à un dénouement d’Hervieu ou de Bourget. J’admirais cette surprise, cette piquante aventure de guerre, et je songeais à l’effet charmant d’un vers de Victor Hugo, jeté aussi, après un récit de combat, à la fin du Mariage de Roland :

C’est ainsi que Roland épousa la belle Aude…

Le colonel éleva la voix pour indiquer qu’il avait fini et déclara, comme si c’était le point important de l’affaire, un record curieux, dont il fût particulièrement satisfait, — il s’en léchait encore les lèvres, en parlant :

« J’ai bu encore quatre bouteilles d’eau d’Evian, cette nuit-là. »


PIERRE TROYON.