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M. Heck considérait que les Japonais étaient un peuple religieux. Une pareille opinion d’un prêtre catholique renversait toutes ses idées. Il connaissait si mal cette religion qu’il avait sans cesse poursuivie à travers son éloge du bouddhisme ! S’il avait fréquenté nos missionnaires, il aurait été étonné de trouver chez la plupart d’entre eux un amour du Japon plus fort que le sien, parce qu’il est plus raisonnable, et une pénétration plus vive des âmes japonaises, parce que la lumière dont ils se servent n’est point exposée aux souffles capricieux de leur imagination, et que les impulsions de leur sensibilité ne risquent pas à chaque instant de fausser l’instrument d’analyse qu’une vieille expérience du cœur humain a mis entre leurs mains. Il aurait su encore que ce qu’ils craignent le plus, ce ne sont jamais les croyances, même les plus extravagantes où l’âme égarée satisfait naïvement son besoin d’expliquer les mystères de notre destinée, mais l’inhumaine et morne indifférence à ces mystères. Ses rapides entreliens avec M. Heck le firent réfléchir : « Je commence à croire, écrivait-il, qu’une grande partie de l’éducation ecclésiastique, méchante et cruelle comme je l’imaginais autrefois, est fondée sur la meilleure expérience de l’homme dans la civilisation. » Et il s’aperçut un jour que les seuls collègues, dont le commerce ne lui déplaisait pas, quelle que fût leur nationalité, étaient catholiques. « N’est-ce pas, se demanda-t-il, le sentiment latin qui survit dans le catholicisme et qui humanise païennement tout ce qu’il touche ? » Et maintenant ce ne sont plus les pays des Tropiques qui l’attirent ni les îles sauvages, c’est la France, c’est l’Italie…

Sa situation, sa famille, sa gloire l’enchaînaient au Japon. Shikata ga n’ai : il n’y avait plus rien à faire ! « J’essaie de rester dans l’atmosphère du vieux Japon. » Il essaya d’oublier les hommes au milieu des histoires de fantômes. Quand il revient à l’humanité, c’est à la pauvre humanité des campagnes et des faubourgs où les enfans chantent les chansons d’autrefois, où la vie pénible s’entoure, comme d’un halo, des plus douces superstitions bouddhiques. Dans sa solitude qui s’épaissit chaque jour, il se crée un cercle merveilleux de revenans, d’arbres-fées, d’apparitions, de réincarnations, d’ombres funèbres et de courtoisies spectrales. Les seuls êtres réels qui y pénètrent sont les insectes que l’antique Orient a toujours associes aux fantômes et aux démons. Il est là, sa loupe à la