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une séance du Conseil de guerre : les tirailleurs et les marins lui donnaient beaucoup d’occupation. Mais il lui semblait que Lauvergeat...

— C’est cela, Benjamin ! Dévouez-vous ! cria Herz, heureux de faire éclater son zèle.

Lauvergeat le devina et se tourna vers le patron :

— Mon général, si c’est un ordre... Le service avant tout ! ajouta-t-il en riant.

— Allez ! mon ami, laissez-vous faire. Faites-vous violence, obéissez, fit le général avec bonhomie. Je vous donne deux jours de vacances. Poydavant et Letellier assureront votre service. Vous me mettrez aux pieds de ces dames. Allez, faites l’empressé, soyez galant, jeune homme !... Je ne veux plus vous revoir jusqu’à samedi matin. Vous êtes en mission, mon ami. Il faut prendre le temps comme il vient : qui sait ce que la guerre nous réserve ?

La bande, sur ces paroles, sortit de la popote et descendit les degrés avec une vive effervescence. Herz faisait le potache, frappait Lauvergeat sur l’épaule :

— Hé ! Benjamin ! A nous les femmes !

— Si vous croyez que ça m’amuse et que j’y vais pour mon plaisir ! fit l’autre avec mauvaise humeur.

Il était furieux contre ce Herz, qui trouvait toujours le moyen de le desservir et de briller aux dépens d’autrui, même quand il s’effaçait.

— Des vacances ! Moi qui ai de l’ouvrage par-dessus la tête ! Il faudra encore que je passe les nuits. Si vous trouvez que c’est agréable... Pourquoi est-ce que vous n’y allez pas, vous ?

Il boudait. Dans le fond, il était enchanté. Il avait peine à se tenir. Il ne savait pas bien ce qui allait lui arriver, mais il ne doutait pas qu’un grand événement ne fût sur le point de se passer. Il allait réaliser un rêve de toute sa vie ; ce qu’il avait tant cherché venait au-devant de lui. Il était comme ces enfans que rend nerveux l’approche du bonheur, et qui ne peuvent dormir la veille de Noël.


II

Le théâtre des Dunes était une des gloires de Nieuport. A cette époque, après le deuxième hiver de la guerre, les divertissemens