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C’était la grande débâcle de Galicie qui commençait, la revanche miraculeuse des infortunes de Pologne... Et la lecture acclamée, hachée d’auplaudissemens s’achève comme un chant de triomphe, tandis que, d’un seul mouvement spontané, toute la salle se retrouve debout et l’orchestre, pour la seconde fois, attaque l’hymne russe qui éclate en actions de grâces, comme un grandiose Te Deum.

Il ne s’achève, ce chant, que pour recommencer encore, tant la joie surabonde, tant elle se précise ce soir par la présence de notre hôte. Ce fut une tempête d’enthousiasme. A toutes les fenêtres, des grappes de têtes apparaissent. On crie « Vive la Russie ! » Jamais l’Alliance ne parut plus belle. Allégresse d’un soir, délire de fraternité ! Joie des épreuves subies, sourire de la France reconnaissante ! Confiance touchante de la fraternité d’armes ! Noble et doux sentiment de la famille humaine ! D’où vient cette impression d’une minute rare et déjà historique, d’une minute dont la pareille n’arrivera jamais plus ? D’où vient que les applaudissemens ne veulent plus finir et cherchent à prolonger la seconde fugitive ? Ah ! çà, les Boches n’entendent donc pas ? Non, ils ont les oreilles bouchées, à ce qu’il parait. Ils se taisent et dévorent notre joie en silence. Mais pendant que nous crions ici : « Vive Broussiloff ! » peut-être que tout bas ils répondent : Sturmer !...

Enfin le calme revint et les danseuses parurent. Elles parurent, et ce fut charmant, en couple de Lancret, portant la jupe à fleurs et le satin rayé bleu et blanc de la Camargo, dansant de très vieux pas de Couperin et de Rameau. Elles revinrent, un moment après, en costumes alsaciens, rouge et noir, avec le grand nœud de rubans et la cocarde tricolore, et c’était à ce moment-là tout ce qu’on pouvait supporter, que cette apparition ambiguë, cette légère pastorale mimée, cette valse aérienne du grand papillon noir que poursuivait un amoureux, et cette nostalgie de la Terre promise qui s’évoquait à nos regards et se résolvait en un jeu gracieux et muet déjeunes filles.

La danse avait calmé les nerfs, rythmé le battement des cœurs. Après des émotions vives, la pure féerie des formes ne laissait qu’une douceur. Un silence harmonieux s’était fait dans la salle ; les âmes, sans le savoir, étaient pleines de musique...

C’est alors que Brigett Nichol s’avança sur la scène, comme la figure de cette attente et la voix désirée de ce mélodieux