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est tombée loin dans les lignes ennemies : le spectacle en a été donné aux fantassins anglais enthousiasmés. Il l’a choisie dans une patrouille allemande de huit avions que l’Albatros survolait de cinq cents mètres. Avec l’avion magique il l’a pulvérisé à une dislance de quelques mètres.

Celle victoire est la quarante-neuvième. Dès le lendemain, il célèbre la cinquantième, un D. F. W., qui tombe en flammes sur Westrobeke, pareillement anéanti, mais qui auparavant s’est défendu, car l’avion enchanté a reçu cinq balles dans la queue, l’un des longerons, le tuyau d’échappement, le capot. Il faut encore le réparer. Ce même jour glorieux, puisque le prodigieux chiffre a été alteint par Guynenier, est aussi pour les Cigognes un jour de deuil. Le capitaine Auger qui, fort de son expérience sept fois triomphante, était parti seul en reconnaissance, reçoit une balle dans la tête, et, mourant, parvient à ramener son appareil au terrain d’atterrissage, pour mourir chez les siens.

Cinquante : Guynemer a réalisé son rêve. Ce nombre qui paraissait inaccessible, s’est peu à peu rapproché. Le voilà conquis. Cinquante, sans compter les avions tombés trop loin, que nul des nôtres n’a vus, sans compter les avions désemparés, sans compter les observateurs tués sur les biplaces. Va-t-il maintenant s’arrêter ? Est-il las de ses chasses, las du massacre et de l’incendie promenés dans les airs ? Ne sent-il pas la fatigue née des trop grandes dépenses nerveuses, des efforts démesurés ? Entend-il les suggestions qui l’invitent au repos et à la sécurité ? Capitaine à vingt-deux ans, officier de la Légion d’honneur, que peut-il attendre encore, que peut-il ambitionner à son âge ? Par sa ténacité à obtenir la fabrication, la disposition, les perfectionnemens encore incomplets de son avion magique, il a, d’autre part, manifesté un esprit d’invention, des aptitudes mécaniques qui justifieraient aisément d’autres emplois. Précisément, les blessures de son appareil l’obligent à un nouveau voyage : l’occasion est là. Il était mal rétabli quand il a quitté l’hôpital. Un congé paraît s’imposer. Enfin la tactique nouvelle du nombre ne pourrait-elle pas le conduire à exercer un commandement où il courrait moins de risques personnels, où il se livrerait moins à sa fougue et à sa témérité, où il formerait d’autres pilotes à son image et à sa ressemblance ?