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Multiplier les constructions, inviter la noblesse à abandonner ses fiefs, à les vendre pour bâtir à Paris, à s’endetter pour y suffire, c’était l’esquisse de la politique qui fut l’idée profonde de Louis XIV à Versailles : vue digne de ce grand Charles V, « sayge artiste, vray architecteur, » comme l’appelle Christine de Pisan. J’ajoute que le goût personnel de ce prince et de sa famille se fait sentir sur l’art d’une manière plus évidente que ce ne fut le cas pour aucun autre. Il est hors de doute que les Valois ont eu une action prépondérante sur le mouvement qui engage les arts dans les voies du naturalisme, et qu’ils ont joué ainsi un rôle capital dans les débuts de la Renaissance.

Il suffit de jeter les yeux à Saint-Denis sur la série des tombeaux, qui forme le musée le plus complet de la sculpture française : on assiste, d’un ouvrage à l’autre, aux progrès dans le sens du réel et de l’imitation exacte de la vie. Au siècle précédent, l’art semblait s’interdire toute espèce de ressemblance vivante ; l’imitation positive était jugée comme un objet inférieur ; la mort était représentée comme une attitude idéale et comme un repos impersonnel. L’idée même de la mort était tenue à l’écart : le gisant a les mains jointes et les yeux ouverts, tant l’art de cette époque ne s’attache qu’au surnaturel et dédaigne les accidens et les misères de la chair. Il ne veut voir de l’homme que ce qui est éternel. Au siècle suivant, au contraire, la reproduction du modèle s’impose de plus en plus comme la fin de l’art ; le sculpteur n’invente plus, il n’a plus d’idéal qui le distraie du vrai : son ambition est de faire de plus en plus ressemblant, et de donner à son œuvre la valeur d’un document ou d’un moulage. Ce que l’art a pu perdre du côté des idées, il le gagne en souplesse et en puissance d’exécution. Les yeux se ferment ; le masque devient gras ou maigre, vulgaire si le modèle est vulgaire ; on n’a plus la pensée d’exprimer la beauté, quand la beauté est absente de la nature. Il suffit de donner au portrait l’apparence de la vie.

Le portrait : dans ce mot tient tout un programme artistique. Elargissez un peu la signification, étendez-la du personnage à tout ce qui l’entoure, au monde extérieur, au décor, au paysage, vous avez l’énoncé de la plus complète révolution qui puisse s’accomplir en peinture, en sculpture, et de quoi suffire à jamais à des investigations d’artistes. La conquête de la nature, tel sera, en effet, le grand objet que va désormais se proposer