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de mourir, l’étudiant se rabat chez Lely. Au bout de quelques années, l’ambition lui vient de sortir du portrait et de s’élever à l’ « histoire ; » il part avec un camarade, et prend le chemin de Rome en passant par Paris. Les routes étaient peu sûres, on ne parlait que de voleurs : en effet, nos deux voyageurs ne sont pas plus tôt arrivés à une couchée de Paris, que les voilà dévalisés. Dans cet équipage, ils poursuivent à pied et arrivent le soir dans la ville, — inconnus, ne connaissant personne, et ne sachant, bien entendu, pas un mot de français. Wleughels, pour tout potage, avait vaguement l’idée qu’il s’agissait de découvrir un de ses compatriotes dont il avait retenu le nom. C’était son seul point de direction ; du reste, pas un sou, pas de hardes, pas de souper : voilà le capital de nos deux compagnons. Ils vont ainsi droit devant eux, en pleine nuit, sans savoir où, traversent un pont, enfilent une rue et arrivent ainsi jusqu’à la place Dauphine. Ils avisent un passant qui rentrait à cette heure solitaire, ils l’arrêtent par la manche (on portait des manches très longues). Le passant se débat, prenant nos gens pour des filous ; mais eux se contentaient de baragouiner à qui mieux mieux : « M. van Mol, peintre du roi. » C’était le nom de leur compatriote, et c’était là tout leur français. Mais la Providence les servait : il se trouva que le quidam était le peintre Bourdon, qui connaissait van Mol, et les mena chez lui.

Van Mol accompagne les jeunes gens chez un doreur de la rue du Sépulcre, lequel les conduit à son tour au cabaret de la Chasse, qui faisait l’angle de la rue du Four. Ce cabaret était un refuge, une colonie de pension de peintres flamands. La Compagnie était à table, à l’heure qu’il était : on fait accueil aux nouveaux venus, on leur fait prendre place. Et voilà nos gaillards, qui une heure plus tôt ne connaissaient pas âme dans Paris, et qui y trouvent à la fois des amis, bon couvert, bon visage et bonne chère. Il n’y a que Paris pour ces surprises.

Il y avait là Fouquières, van Boucle, Calf, Nicasius, tous artistes de quelque renom, tous menant joyeuse vie. S’il fut question de Rome, ce fut assurément pour en détourner nos pèlerins. Le plus pressé était de ramasser quelques écus. Le lendemain, Calf conduit Wleughels chez un certain Picard, un « pays » de sa connaissance, peintre de fleurs, plus marchand que peintre, qui nourrissait quelques jeunes gens à faire des copies, et qui demeurait sur le pont Neuf, en face du