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Cheval de Bronze. Le voyage de Rome ne fut pas poussé plus loin.

Ce n’est pas tout. Philippe Wleughels commence à se débrouiller ; les commandes arrivent ; il fait quarante tableaux pour le Carmel de Saint Denis. Le voici qui songe au mariage. Il y avait alors rue du Vieux-Colombier un peintre flamand assez habile, qui peignait bien les mers : c’était un élève de van Ertveld, d’Anvers, dont le portrait par van Dyck se trouve au musée d’Augsbourg. Il s’appelait van Plattenberg. A son arrivée à Paris, il s’était fait brodeur, mais, la broderie venant à être défendue, il avait repris son premier métier. Van Plattenberg ou plutôt M. de Platte-Montagne, comme il avait traduit son nom, avait deux filles : Philippe Wleughels demanda la main d’une des sœurs. Et c’est ainsi qu’un inconnu arrivant à Paris y trouvait de quoi vivre, dîner, peindre et se marier, — en Flandre. Il pouvait même s’épargner la peine d’apprendre In langue des indigènes. Au bout de trente ans de Paris, Wleughels ne savait pas encore le français : en revanche, nous dit-on, il se piquait de correction et même d’élégance en flamand. Cela ne nuisit pas à sa carrière : les meilleures, compagnies s’amusaient de son jargon, et, comme il ne manquait pas d’esprit, il disait en mauvais français de petites histoires joliment.

J’ai conté cette aventure un peu longuement peut-être, mais que de Wleughels en France, et surtout à Paris ! On serait étonné de la proportion de Flamands qui se rencontre dans les arts français au temps de Louis XIV : de 1648 à 1690, on en trouve une trentaine sur les registres de l’Académie ; à la fondation, ils forment à peu près le tiers de la Compagnie. Ils ne sont pas moins nombreux aux Gobelins, dans cette manufacture des Meubles de la Couronne, une des grandes idées de Colbert, où tout un peuple d’artisans, de peintres, d’ouvriers, sous la surintendance de Le Brun, travaille à la gloire royale, exécute mobilier, tapisseries, statues, et coopère au relèvement des industries françaises. Quel n’est pas dans cette entreprise le rôle d’un Genoels ou d’un van der Meulen, ce beau peintre, l’historiographe en titre des sièges et des campagnes de Louis XIV, l’homme chargé du service de la propagande par le film, et qui nous a laissé sur ces guerres classiques tant de gaies et piquantes images, tant de pages chatoyantes, alertes et luxueuses ? Quelle ne fut pas la part de cette équipe flamande dans les travaux de siècle ? On ne peut feuilleter le beau livre