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de M. de Nolhac sur la Création de Versailles, sans rencontrer presque à chaque page les noms de quelqu’un d’entre eux. Pour un Romain comme Tubi, combien d’œuvres charmantes des frères Marsy, de Cambrai, Gaspard et Balthazar Marsy, qui peuplent les miroirs d’eau de leurs gracieuses nymphes, taillent le marbre équestre de la grotte d’Apollon, créent l’aquatique fantaisie du bassin de Latone ! Combien d’autres ouvrages de van Obstal, de Buyster, de Corneille van Clève, l’auteur des bas-reliefs de la chapelle de Versailles, ou de ce puissant Desjardins, de son vrai nom, van den Bogaert ? Mais l’inventaire de nos richesses artistiques est encore si mal fait, tant de choses ont été détruites, tant de beautés gaspillées, qu’à peine savons-nous ce qui nous reste ; et aussi, avouons-le, nous discernons mal, à distance, le talent individuel dans la discipline uniforme de cette grande œuvre impersonnelle. Dans la foule qui passe tous les jours sous l’arche triomphale de la Porte Saint-Martin, y a-t-il seulement deux regards pour admirer la jolie Besançon de Desjardins ou le Mars impétueux de Balthazar Marsy ? Parmi les milliers de visiteurs qui, aux Invalides, rendent un quotidien hommage aux reliques de Guynemer, combien remarquent les magnifiques esclaves de bronze de Desjardins, — où il y a déjà des Germains enchaînés, — et qui sont les fragmens du glorieux Louis XIV de la place des Victoires ?

Ce n’est pas mon objet de faire de ces pages une simple énumération. Mais comment s’empêcher de rêver à la prodigieuse « ville d’art » que fut le Paris d’autrefois, tel qu’était encore, par exemple, le Paris de Sauval ou du plan de Turgot, avec ses curiosités, ses verrues, ses antiquités de tous les siècles, et ses voies biscornues où se coudoyaient tous les âges ? Que sont devenues ces centaines de paroisses et de couvens, Saint-Médéric et Saint-Magloire, Sainte-Opportune et le vieux Saint-Paul, les Feuillans et les Capucines et les Filles du Calvaire, et les incroyables trésors que recelaient tant d’hôtels et de fondations religieuses ? Qu’ont fait de tout cela les révolutions, les ventes et les terribles exigences de la voirie et de la rapidité modernes ? Que ne puis-je retrouver au coin de la rue Bailleul cette figure de Sainte-Anne, que la veuve d’un rôtisseur de la rue de l’Arbre-Sec, qui s’était enrichie à vendre de la volaille, avait commandée à Buyster en témoignage public de sa