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de celle de Sophocle et que la peinture de Poussin ressemble à celle de Parrhasius. Mais l’art se modifie sans cesse, il varie avec les climats et le génie des lieux, et Rembrandt et Rubens sont fort bons à leur place, comme Raphaël l’est à la sienne. Il n’y a pas de règle absolue pour la production des chefs-d’œuvre, pas de ciel qui ait le privilège de faire éclore le génie. Si l’on dessine bien à Rome, on peint mieux dans les Pays-Bas. Déjà les curieux rapportent de leurs voyages quelques-uns de ces tableaux « flamands » que Louis XIV traite de « magots ; » il se forme dans Paris plusieurs cabinets d’amateurs, celui d’un Roger de Piles, d’un Boisset, d’un La Roque, d’une comtesse de Verrue, où les petits maîtres de là-bas font leur apparition. Leur formule intime, sociable, faite pour l’appartement et la vie familière, s’accommode mieux que le genre héroïque au cadre de l’existence bourgeoise. On est las de pompe, de grandeur, d’apparat, et l’on revient avec plaisir à la réalité. Nos peintres, de plus en plus, s’épargnent le stérile voyage d’outremonts ; en revanche, ils font volontiers celui des bords de l’Escaut. Largillière est un pur Flamand d’éducation. Elevé à Anvers par un certain Goubauw, il passe vers les vingt ans à Londres, où il trouve chez Lely les leçons de van Dyck. Desportes est l’élève du Flamand Nicasius. Rigaud fait collection de peintures « flamandes » et ne possède pas moins de huit tableaux de Rembrandt : Rembrandt, Rubens, on ne les distingue pas encore nettement ; on les oppose en bloc à Raphaël et à Poussin. Et voilà qu’un beau jour les « Rubénistes, » comme on nommait les hérétiques et les partisans de la « couleur » contre le « dessin, » découvrent que, sans aller si loin, leur maître favori est déjà dans la place : Rubens au Luxembourg, Anvers en plein Paris…

Ce que fut cette découverte pour les peintres d’« histoire, » je l’ai indiqué d’un mot, par un exemple de Goypel. Pour toute cette génération, la Galerie de Médicis est un modèle qui rejette bien loin la Galerie de Versailles et les ouvrages de Le Brun. On entrevoit que la jeune école y puisa une partie de sa nouvelle poétique. Mais que nous importent aujourd’hui les peintres d’« histoire » de cette époque ? Dans ce Luxembourg d’alors, il y avait Watteau.

Il était là dans l’atelier du « concierge » de la maison, un peintre nommé Audran, qui lui faisait faire ce qu’on appelait