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de Venise, et était répandue dans le peuple par les émissaires de Guidobaldo, malgré tous les efforts du gouverneur pour les en empêcher. Ce gouverneur, un ancien président du tribunal de la Rote, homme mansuet, avait manœuvré de son mieux. Averti avant tout autre, il avait fait appeler les notables de la ville et, tout en leur annonçant que le Pape était fort malade, il les avait mis en garde contre d’excessifs espoirs et des actes prématurés. Le Pape pouvait mourir, c’est vrai, mais, le duc de Valentinois étant toujours capitaine général de l’Église, à la tête d’une forte armée, allié du roi de France, en possession de nombreuses forteresses, demeurait aussi puissant que jamais. De plus, étant assuré de quarante-trois cardinaux créatures ou alliés de son père, il ne pouvait manquer de faire un Pape de sa façon. Ainsi, la prudence commandait de lui rester fidèle. La gratitude le conseillait aussi. On devait lui rendre à lui, gouverneur, cette justice qu’il avait tout fait pour que le joug des Borgia parût le plus doux possible. Il demandait donc aux Urbinates de l’aider à maintenir l’ordre, s’il venait à être troublé par la populace, et, pour cela, il allait leur rendre toutes leurs armes confisquées.

C’était parler d’or, mais autant eût valu jeter des sequins à une mer démontée… Les notables eussent hésité encore : le peuple n’hésita pas. En un clin d’œil, de toutes les maisons, dans ce dédale de ruelles obscures qui font de la cité d’Urbino une montagne à escalader de toutes parts, sortirent des hommes en armes, décidés à faire payer cher aux soldats de César la tyrannie du maître. Les enfans mêmes couraient criant : Guido ! ou : Feltro ! « Espions ! Rebelles ! Traîtres ! » Tels étaient les complimens dont on saluait les Borgiesques et on les égorgeait aussitôt. Leurs maisons étaient envahies et saccagées. Le gouverneur put s’enfuir jusqu’à Cesena, mais son lieutenant, un certain Scaglione, qui n’avait pas fait preuve du même esprit de conciliation, demeura sur la place massacré sans pitié. Le même jour, Remires, sentant tout le Montefeltro révolutionné autour de lui, levait le siège de San Leo, et, du Nord au Midi, de l’Est à l’Ouest, le duché acclamait le nom de son ancien seigneur. Il n’avait qu’à revenir.

Il revint, sans tarder plus qu’il ne fallait, pour prendre congé de la Seigneurie Sérénissime. Celle-ci, jugeant cette fois que la resta,uration feltrienne avait les plus grandes chances de