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gouvernement français ; non seulement son attitude témoignait de la volonté de faire litière de ces souvenirs amers, mais elle trahissait aussi le désir de s’allier à la France, en vue de contrecarrer la politique anglaise en Orient. En arrivant à Paris accompagné de son chancelier Gortschakof, il s’attendait à entendre Napoléon lui faire des offres d’entente ; il s’y attendait parce qu’on les lui avait fait espérer. Son espoir fut déçu, à l’heure même où il venait d’entrer dans la capitale. Après les pompes et les splendeurs de la réception, il se trouvait en tête-à-tête avec Napoléon III depuis quelques minutes à peine, lorsque l’Impératrice entra dans le salon où ils étaient réunis et empêcha que la conversation sortit des banalités et abordât le sujet qui intéressait Alexandre. Ce fut sa première déception ; elle s’aggrava dès le lendemain, durant sa visite au Palais de Justice, où éclatèrent sur son passage des manifestations de sympathie polonaise.

Puis ce fut, à la revue du 6 juin, l’attentat de Berezowski, qui lui rappelait, en des conditions qui auraient pu être tragiques, les encouragemens que les Parisiens, à ce qu’il croyait, étaient toujours prêts à donner à la Pologne. L’incident laissa dans l’esprit du Tsar une trace douloureuse. C’était la seconde fois, depuis moins de deux mois, qu’il était l’objet d’un attentat. Le 16 avril, à Pétersbourg, vers quatre heures de l’après-midi, il passait à pied devant le Palais d’Été, avec le duc de Leuchtenberg et la princesse de Bade, lorsqu’un individu, vêtu comme un bourgeois, sortit de la foule, et, tirant de sa poche un pistolet, le visa. Un moujik qui avait vu le mouvement releva l’arme ; le coup partit en l’air, mais l’Empereur entendit siffler la balle. L’assassin, un nommé Karakosoff, fut arrêté aussitôt, non sans peiné, car les témoins de cette scène s’étaient emparés de lui et voulaient l’écharper. C’était un paysan ; lorsqu’on l’interrogea sur les mobiles de son crime, il répondit « qu’il s’était dévoué pour le peuple à qui l’Empereur n’avait pas donné assez de terres. » Alexandre aurait voulu le gracier ; ses ministres l’en empêchèrent, et le personnage fut pendu. En lui rappelant cet attentat, celui de Berezowski, survenu six semaines plus tard, lui fut particulièrement cruel. À cette date, il régnait depuis dix ans, et, s’étant toujours préoccupé du sort de ses sujets, il se croyait des droits à leur reconnaissance.

C’était d’ailleurs, nous l’avons dit, un être de bonté qui ne