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Cette disposition envers un pays dont maintes fois il a recherché l’alliance s’accuse encore dans l’un de ses derniers entretiens avec le général Chanzy. En décembre 4880, à la parade du dimanche, la première qui suivit son retour de Crimée, l’ambassadeur, s’étant approché de l’Empereur pour lui présenter ses hommages, fut accueilli par ces paroles :

« Je suis heureux de vous revoir ici, général ; vous ne doutez pas de ma sympathie. Votre pays continue à être bien agité, et je le regrette, car vous savez combien je désire le voir calme et prospère. »

Chanzy aurait pu répondre que la Russie était bien autrement agitée que la France. Mais il serait sorti de son rôle diplomatique, ce dont, en de telles circonstances, il était incapable.

— La France, Sire, a un tempérament tellement robuste, dit-il, qu’elle n’est pas ébranlée très sérieusement par les crises temporaires qu’elle peut subir. Elle a, d’ailleurs, donné depuis dix ans trop de preuves de sa sagesse et de son désir de tranquillité pour que ce qui se passe chez nous puisse causer des inquiétudes au dehors.

— Je voudrais partager votre confiance, déclara l’Empereur, indiquant ainsi qu’il ne pouvait la partager, ce qui ne l’empêcha pas de protester de son amitié pour la France.

Aux réceptions du Jour de l’An, qui eurent lieu quelques semaines plus tard, Chanzy constata qu’Alexandre était devenu plus confiant. Il est vrai qu’à ce moment l’accord existait entre le cabinet de Saint-Pétersbourg et celui de Paris sur les moyens à prendre pour conjurer la guerre turco-grecque qui menaçait l’Europe. Alexandre était reconnaissant à la France du concours qu’elle était disposée à lui donner, et son langage s’en ressentait.

Ce que nous savons des dernières semaines de son existence nous le montre travaillant activement à mettre sur pied les réformes par lesquelles il avait résolu de répondre aux attentats nihilistes. Il y était d’ailleurs poussé par les conseils du ministre Loris Mélikoff et de ses collègues, par ceux même de son fils le grand-duc héritier. Les vœux de la nation lui arrivaient maintenant moins obscurs que par le passé comme si, entre elle et lui, il n’eût plus existé de barrière. Inviolabilité des personnes, substitution des tribunaux aux mesures de police,