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tribulations. Les Indiens se préparaient à la révolte. « Poussés par les Anglais et les Espagnols, les indigènes postés sur les bords du fleuve harcelaient les bateaux qui tentaient la descente, massacraient les fermiers dans les champs et saccageaient les plantations… Ne retenons que les faits principaux : le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à cette date, ç’aurait été folie à un Européen de s’aventurer sans une véritable armée à l’Ouest du fort Washington, dans une contrée où les Indiens étaient en pleine révolte… » Chateaubriand ne craint absolument rien ni personne ? Bien ! Mais, d’habitude, les dangers qu’il méprise, il ne les cache pas. En outre, il n’a rien vu, dans la région de l’Ohio, de ce qu’on y voyait en 1791 à l’automne. Il n’a pas vu cette colonie française du Scioto, à laquelle appartenait le protecteur et l’ami de son ami Fontanes, le vieux marquis un peu toqué de Lezay-Marnésia, tout à côté des « fameuses ruines qu’il prétend avoir visitées ; » il n’a pas vu « ces malheureux colons français, doreurs, carrossiers et perruquiers transportés brusquement dans le désert et qui, la cognée à la main, luttaient héroïquement contre la forêt ; » il n’a pas vu cette ville de Marietta, fondée l’an 1787 en l’honneur de Marie-Antoinette. Il a vu, il prétend avoir vu, en 1791, l’Ohio de 1785. Pourquoi ? C’est M. Chinard qui nous l’apprend.

Chateaubriand n’a point visité la région de l’Ohio. Mais il l’a décrite ; et, pour la décrire, il a emprunté les récits d’un voyageur anglais, Gilbert Imlay, Or, la Description topographique de Gilbert Imlay parut à Londres en 1792 ; mais Imlay avait parcouru la région de l’Ohio en 1785 : et voilà pourquoi Chateaubriand décrit pareillement l’Ohio de 1785.

Bref, aux sources qu’avait découvertes M. Bédier, nous ajouterons, sur le témoignage de M. Gilbert Chinard, le livre de Gilbert Imlay. Et laissons Beltrami, puisqu’il paraît que, sur divers points, M. Dick s’est trompé. La conclusion de M. Chinard ne dément pas la conclusion de M. Bédier. Plutôt, les travaux de M. Chinard confirment et complètent les travaux de M. Bédier : Chateaubriand, parti de Baltimore, a traversé le territoire de la Genesse ; il s’est promené « dans une région encore à demi sauvage et en tout cas très peu peuplée, » et il a vu le Niagara. Réduit à cela, son voyage lui donnait du loisir. Peut-être s’est-il attardé à New-York, à Boston ; peut-être est-il allé à Pittsburg et, sans trop s’éloigner, peut-être a-t-il fait, sur les bords de l’Ohio, « des excursions ou des parties de chasse. » M. Chinard, au bout du compte, nous engage à n’être pas dupes des hâbleries de cet explorateur. Il s’en tient à la réponse que fit Chateaubriand lui-même à