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Rivarol chez le baron de Breteuil : « D’où vient votre frère le chevalier ? dit-il à mon frère. Je répondis : de Niagara. »

Mais alors, pourquoi M. Gabriel Chinard blâme-t-il les commentateurs qui ont dénoncé les hâbleries américaines de Chateaubriand ? Il réclame, pour Chateaubriand, plus de respect : sans aucun doute l’aurait-il obtenu, s’il avait eu l’occasion d’établir la vérité, non l’imposture, de ce Voyage en Amérique. Au surplus, reconnaissons-le : les études auxquelles ont donné bleu, depuis quelques années, la vie et l’œuvre de Chateaubriand ne laissent pas ce grand homme tel exactement qu’on se le figurait. Il n’a plus cette majesté imposante qui avait de la beauté, qui était un peu froide et qui écartait de lui la familiarité, mais aussi l’amitié. Joubert, qui l’aimait tendrement, l’appelait « ce bon garçon, M Le bon garçon ne se voyait pas, dans le personnage très solennel que la légende avait composé. Regrettez-vous sincèrement ce Chateaubriand majestueux et que vous n’aviez point envie de lire ? Vous l’admiriez et ne le lisiez pas : avouez-le. Il était devenu l’un de ces dieux incontestables, mais lointains, et qui n’ont pas d’infidèles, et qui n’ont plus de fidèles. Peut-être vérifierait-on que les années sont les mêmes, durant lesquelles l’auteur des Martyrs a été l’objet de la déférence la plus parfaite et la victime de l’abandon le plus injuste. Maintenant, on retourne à lui. Et il ne paraît plus impeccable. Ses histoires d’amour sont frivoles et nombreuses : il s’y montre ce qu’il était, égoïste, vaniteux, voluptueux et tendre ; pareil à d’autres, mais avec un éblouissant génie dans ses fautes comme dans son charme. Et ses histoires d’amour ne sont étrangères ni à son œuvre de poète ni à son activité politique : il a été lui-même tout entier, sans cesse, en tout ce qu’il a fait de bien, de mal, de surprenant, et en tout ce qu’il a rêvé comme en tout ce qu’il a écrit. Il avait de l’orgueil et de la coquetterie, le désir de plaire et de séduire. Il aimait les femmes et la gloire ; il a recherché l’assentiment de la postérité un peu comme celui d’une femme : et il a voulu être beau, mais il n’a pas désiré qu’on n’osât point toucher à lui. Et vous croyez qu’il se guindait : mais non, c’est vous qui le guindiez. Il y a du bon garçon, dans sa manière ; approchez-vous de lui, et voyez-le sourire gentiment.

Ce qui manque aux anciens portraits de lui, qu’on feint de regretter, — et il y a du pharisaïsme dans ce regret, — c’est une vertu sans laquelle on n’est pas de chez nous, la bonhomie. - Laissez-lui ses péchés ; rendez-les-lui, et son sourire.

Il a écrit, dans le Génie du Christianisme : « Les grands écrivains