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Musset ; il lui dit : « De vous à moi, je sais que vous êtes Octave, que cette confession est la vôtre ; » et, se souvenant en moraliste des ruptures et des recommencemens dont il a été le confident lassé : « c’est le lendemain même des fantaisies d’Octave, que ce charmant dîner a lieu (le dîner où Octave renonce à sa maîtresse pour la céder à Pagello — pardon ! à Smith) — et que le départ de Smith et de Brigitte pour l’Italie se décide. Qui nous répond que l’autre lendemain tout ne sera pas bouleversé encore, qu’Octave ne prendra pas des chevaux pour courir après les deux amans fiancés par lui, que Brigitte elle-même ne recourra pas à Octave ? (Sainte-Beuve se souvient des fuites à Nohant, à Baden, à Montbard, etc.) Il est clair qu’on ne laisse aucun des personnages ayant pied sur un sol stable ; on n’a, en fermant le livre, la clé finale de la destinée d’aucun. » Sainte-Beuve voudrait une conclusion, il trouve que l’ensemble manque de composition, il reproche a Musset trop de décousu dans son œuvre : Musset pourtant avait reproduit l’image d’un épisode de sa propre vie. Sainte-Beuve le savait bien : la vie n’est-elle pas ainsi ? Il n’y a que la mort qui termine certains épisodes…

Le critique conclut en encourageant Musset au silence dans l’avenir : qu’il ne chante plus ses maux (quelle perte pour les lettres françaises si Musset l’eût écouté ! ). « Octave est guéri enfin, dit Sainte-Beuve ; quand il parlera de son mal désormais, que ce soit de loin, sans les crudités qui sentent leur objet… la nature épure et blanchit les ossemens. A cet âge de sève restante, et de jeunesse retrouvée, ce serait puissance et génie de la savoir à propos ensevelir (son expérience) et d’imiter, poète, la nature tant aimée, qui recommence ses printemps sur des ruines, et qui revêt chaque année les tombeaux ![1] »

V. Buloz ne fut pas satisfait de cette chronique ; pourtant Musset l’était : « Remerciez Sainte-Beuve, son article est très bien. Que diable vouliez-vous donc ? Je n’en mérite à coup sûr pas tant ; je voudrais le trouver quelque part et causer une heure avec lui[2]. »

Un mois après, Musset est occupé d’un compte rendu qu’il doit écrire, Un Salon : « Je vous donnerai d’abord un article sur le Salon. Vous l’aurez avant le 20 ; il sera long, car je n’ai

  1. Voyez la Revue du 15 février 1836.
  2. Inédite.