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« Mon cher Buloz[1],

« A moins que vous ne veuillez faire mon article nécrologique, ne m’envoyez pas Gerdès demain matin. Je ne puis le considérer que comme un médecin-commissaire, chargé de constater si je suis enterrable ou non. Or, je me flatte d’avoir donné plusieurs signes de mort, mais non encore de putréfaction. J’essaierais pour la neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuvième fois de vous dire mon pourquoi, s’il y avait un pourquoi à n’importe qu’est-ce, et si je n’avais pas tenté de vous dire le mien neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-huit fois.

« Le fait est que je suis allé depuis peu souvent à Versailles, que là, j’ai senti une chose devant cinq ou six marches de marbre rose dont je veux parler. J’ai même fait quelques strophes là-dessus. Mais une idée de ce genre ne peut avoir aucun prix par elle-même, aucun, — parce qu’elle exprime un regret inutile. Ce n’est bon qu’à garder pour soi. Quant à l’amplifier et la paraphraser pour vous en faire trois ou quatre pages, à tort ou à raison, je regarde cela, ni plus ni moins, comme honteux. Voilà, mon cher ami, où j’en suis, depuis à peu près trois ou quatre ans.

« Je vous ferai vos nouvelles. Il y en a deux de commencées, l’une a trois pages, l’autre trente-cinq[2].

« Elles seront du reste, je puis vous l’assurer, aussi confortables, aussi inodores, que celles que j’ai déjà fabriquées.

« Quant à faire quelque chose qui soit quelque chose, il me faudrait un an de tranquillité devant moi, chose impossible, et encore ne pourrais-je répondre de rien. Je vous griffonne ceci que je vous ai dit cinq ou six cents fois, pour que vous veuillez bien m’appliquer l’épitaphe suivante :


Lucrezia Piccini
Implora eterna quiete.


« C’est Lord Byron qui l’a trouvée, je crois, et je ne sais où.

« A vous.

« ALFRED DE MUSSET[3]. »

  1. 1849.
  2. Ces nouvelles n’ont jamais paru dans la Revue.
  3. Inédite.