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Puis, après avoir relaté les malheureuses paroles de l’évêque, la stupéfaction profonde et l’irritation douloureuse qu’elles avaient produites en Alsace, il ajoute : « Pour nous qui connaissons l’homme, son passé, son tempérament, son caractère, son âge, les circonstances de son élection et les manœuvres qui l’ont retourné, le fait est naturel, j’allais dire excusable. Quoiqu’il soit né dans le Haut-Rhin, il a terminé ses études en Allemagne, il y a vécu longtemps, il a professé la théologie à Mayence, il y a publié ses livres, il y écoule une partie de ses récoltes… Considérez d’ailleurs qu’il a quatre-vingts ans… Il ne s’est pas montré bien héroïque en face de l’invasion. Pendant le siège de 1870, lorsque Paris, trompé par une fausse nouvelle, le croyait martyr et célébrait en son honneur un service funèbre, il dînait pacifiquement à la table de M. de Bismarck-Bohlen. Personne n’eut songé à présenter son nom aux électeurs de Schlestadt, si un mot d’ordre parti d’Allemagne n’eût annoncé le succès de plusieurs candidatures cléricales et demandé du renfort en Alsace. Le maire révoqué de Schlestadt, seul candidat populaire, refusait le mandat ; un particulariste se mettait sur les rangs, il fallait aviser d’urgence : on prit Mgr Raess, faute de mieux, mais sans illusion. Aussitôt nommé, il s’en fut chez M. de Moeller, président d’Alsace-Lorraine, attester les dispositions conciliantes dont il était animé. A Berlin, sa vieille et débile personne était un but tout désigné aux grands politiques qui voulaient entamer à tout prix l’unanimité de nos quinze représentans. L’empereur lui donna audience la veille ou le jour même de la protestation ; nous avons lieu de supposer qu’un tel homme d’Etat… eut bon marché d’un octogénaire usé comme l’évêque Raess. L’acte de défaillance que les journaux allemands exploitent à qui mieux mieux ne prouve rien, sinon qu’un de. nos quinze mandataires était un homme fini, c que nous savions tous[1]. »

En Alsace, l’hostilité contre Mgr Raess prenait une violence croissante. Sur le bureau du malheureux évêque, s’accumulaient les adresses, les dépêches, les lettres de protestation ; les unes déférentes, les autres résolument injurieuses. A Schlestadt, le comité même qui avait mis en avant et soutenu la candidature de Mgr Raess s’empressa, dès le lendemain

  1. Le XIXe Siècle, 25 février.