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recherché le concours. De concert avec les députés ecclésiastiques des provinces annexées, il présenta au Reichstag une motion tendant à l’abrogation des lois de dictature et de l’état de siège. C’est à la séance du 3 mars que fut présentée cette motion. Hélas ! Ce jour-là, quelle désillusion encore pour les Alsaciens ! Les éloquens discours des abbés Winterer et Guerber n’éveillèrent aucun écho, leurs argumens tombèrent dans le vide, la motion fut repoussée.

Les députés alsaciens-lorrains ne jugèrent pas à propos de prolonger la pénible expérience, et tous quittèrent Berlin : « Adressez-moi désormais vos lettres à Neuf-Brisach, — écrivait alors à l’un de ses amis le député de Colmar l’abbé Sœhnlin, — je retourne de nouveau en Alsace le cœur rempli d’amertume et de tristesse. Je croyais que, dans le vote sur l’abrogation de la dictature en Alsace-Lorraine, terrain neutre, question de droit commun et de liberté… le parlement aurait un mouvement généreux… Mais nous voilà replacés indéfiniment sous le régime de l’exception. Une première fois on nous a fermé la bouche quand nous avons voulu parler, après la déclaration de Mgr de Strasbourg ; la seconde fois, on refuse de nous accorder ce que l’on n’a jamais refusé à un peuple civilisé. Vous me demandez mon opinion sur le Centre ; ce groupe parlementaire renferme certainement des hommes éminens, distingués sous tous les rapports ; mais, hélas ! ils ne connaissent pas notre Alsace[1] ! »

Si la fin de Mgr Raess fut triste, admirable au contraire fut celle de Mgr Dupont des Loges. Dans son diocèse, sans rien abandonner de ses idées, renier aucun de ses souvenirs, le prélat savait maintenir, envers le pouvoir, l’altitude la plus hautainement correcte. Lors d’une visite du Kaiser, il parut à une réception officielle avec la dignité voulue. Ce fut une occasion que ne manqua pas de saisir le gouverneur d’Alsace-Lorraine afin de solliciter aussitôt pour l’évêque, — immense faveur dont la reconnaissance, pensait-il, devrait être aussi grande, — la plus haute décoration prussienne. Celle-ci, sur-le-champ, fut envoyée de la main même de l’empereur : « Vous vous êtes mépris, » fit savoir sans tarder au gouverneur, Mgr Dupont des Loges en renvoyant la croix ; et dans une admirable lettre,

  1. Le Monde, 11 mars.