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repliement sur elle-même, bien loin d’être l’effet d’une humeur sauvage et farouche, venait tout au contraire d’un juste sentiment de fierté et du noble désir de défendre sa tradition séculaire.

Cordoue devait être pareille, avec ses murs sévères, ses ruelles tortueuses, ses maisons à patio, son aspect hautain et fermé. L’air aristocratique qu’évidemment les Espagnols ont emprunté aux Maures, c’est tout à fait celui des hidalgos de Salé, si authentiquement andalous, et qui, mieux que les R’bati, se sont soustraits à l’influence étrangère.

A Rabat, en dépit des soins que nous prenons de nous tenir à l’écart, notre civilisation empiète un peu sur la vie indigène. Le passage des commerçans, des fonctionnaires, des soldats, un café dans un coin, un magasin dans l’autre, un cinématographe, un fiacre, une automobile viennent tout à coup briser l’harmonie de la cité. Au vieux fond hispano-mauresque, s’ajoute aussi, depuis quelques années, une population de gens beaucoup plus rudes, venus des confins du Maroc, du Sous, de l’Atlas, de Marrakech. Leurs têtes rondes et rasées, entourées le plus souvent d’une simple corde de chanvre, leurs djellaba terreuses et leurs burnous noirs et rouges se mêlent aux turbans impeccables et aux vêtemens de fine laine des élégans citadins. Ce sont des campagnards berbères, des Chlenh, les plus anciens habitans du Maroc, qui affluent des montagnes vers la côte, attirés par l’appât du gain. Ils ressemblent à nos Auvergnats ; ils en ont la forte carrure et les vertus solides : le travail, l’économie, une aisance à s’adapter étonnante. On les voit venir sans le sou, pratiquer vingt petits métiers, coucher à la belle étoile, et, au bout de quelque temps, acheter un fonds de boutique, s’installer dans une armoire. C’est sur ces Berbères malléables, et prêts à accepter de notre civilisation tout ce qui leur apportera quelque argent, que nous pouvons compter le plus. Mais il faut bien reconnaître qu’ils n’ont ni la finesse, ni la grâce, ni l’élégance des vieilles populations andalouses, et que leur invasion enlève peu à peu à Rabat ce caractère d’aristocratie bourgeoise, solitaire et dévote, qu’on y retrouve toujours, mais qui n’existe plus dans son intégrité que derrière les murs de Salé.

Heureux qui aura pu encore se promener dans cet Islam intact, tournoyer au hasard dans la petite ville pleine d’activité