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despotique qui n’a qu’un geste à faire pour que cent personnes accourent, et en même temps d’une grande liberté, d’une fastueuse bonhomie. Vraiment, c’était un spectacle agréable à l’esprit et reposant aux yeux, cette nuée de domestiques placés là pour ne rien faire.

Dans une pièce d’apparat, sous une de ces alcôves qu’on appelle des benika et qui créent dans ces chambres immenses un coin d’intimité, le Sultan était assis, avec le général Lyautey. Sous les orangers, la musique continuait d’égrener ses airs à cloche-pied, d’une mélancolie sautillante, qui semblaient à tout moment se tenir arrêtés, debout sur une patte, comme une cigogne au sommet d’un minaret. On n’avait qu’un regret, c’est que notre présence exilât de la terrasse, pour cet après-midi, ce qui, dans l’ordinaire des jours, doit en faire le principal agrément : les enfans et les femmes. et voilà que tout à coup, du fond de la galerie, glissant rapidement sur le miroir des zelliges, deux formes charmantes apparurent, deux capuchons de soie, deux djellaba de mousseline, deux caftans dont on n’apercevait qu’un mince liséré rose et bleu, entre la mousseline et les babouches jaunes. C’étaient les enfans du Sultan, dont j’avais entrevu l’aîné dans ses vêtemens d’écoliers, derrière l’énorme négresse. Leur précepteur, enturbanné de la saie rayée d’or des lettrés marocains, les conduisait auprès du général qui avait voulu les voir.

Dans ce décor très ancien, où tant de choses modernes surprennent, c’était une nouveauté encore, mais celle-là tout à fait plaisante, ces enfans d’un prince d’Islam mêlés à une réception qui, malgré son intimité, avait pourtant un caractère politique. Traditionnellement, au Maroc, plus on est proche parent du Souverain, plus on est tenu à l’écart. Aujourd’hui même, dans ce palais, plusieurs frères du Sultan sont relégués au fond de leurs appartemens, dans une sorte de captivité. Et parmi eux je songe à ce Mouley Mohammed, qui jouit près du peuple d’une faveur particulière, car il est l’aîné de la famille et d’esprit assez bizarre, dit-on, ce qui lui ajoute le prestige qui s’attache en Islam aux êtres innocens, ou simplement singuliers, par la croyance que, s’ils ne ressemblent pas tout à fait aux autres hommes, c’est qu’Allah a retenu une part de leur esprit, qui lui sert à se maintenir en relation secrète avec eux.