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je crois et je prévois que le Roi et le royaume de France sont en danger de ruine, de bouleversement et d’opprobre éternel… Que Votre Sainteté cependant fasse attention à une chose. Si vous ne prenez soin d’avance d’annuler les maux et les infortunes qu’énonce la seconde conjonction, afin que ces maux ne se produisent pas, vous ne pourrez seconder communément les heureux événemens et les bonnes fortunes en faveur de la foi chrétienne qu’annonce la première conjonction… » Quelque astrologue a-t-il eu l’idée d’examiner si Jupiter, Saturne et Mars ne se seraient pas rencontrés de nouveau vers 1914 ? Nous l’ignorons. Pour 1357, Jean de Murs a pu paraître prophète ; car, un peu avant la date prédite, eut lieu le désastre de Poitiers. Ce qui aujourd’hui nous frappe surtout dans sa lettre, c’est qu’elle ait pu être adressée au pape, dans un sentiment tout patriotique, sans crainte de commettre une hérésie.

Duhem a montré, à ce propos, comment, à cette époque, il s’était constitué, à côté de l’astrologie, une véritable science astronomique d’observation, qui avait son enseignement régulier à l’Université de Paris et à laquelle s’intéressait vivement la Papauté par la nécessité d’avoir un calendrier exact pour les fêtes. Cette astronomie sérieuse n’était pas aussi absolument distincte qu’on le voudrait de l’astrologie judiciaire, et l’on croit deviner que, si les cours d’astronomie étaient courus à Paris ou à Oxford, c’est parce qu’il était lucratif de tirer des horoscopes, L’Église ne protestait pas, à la condition que le libre arbitre humain fût respecté, comme il l’était si candidement dans la lettre de Jean de Murs. Mais, ainsi que nous l’annoncions plus haut, les travaux de Duhem ont fait voir, et il y a là une de leurs conclusions nouvelles, que, le jour où l’astronomie d’Aristote, liée à l’astrologie la plus fataliste, parut entraîner des conclusions déterministes pour la cosmologie universelle, la Papauté engagea une lutte vigoureuse contre ces tendances hérétiques et prêta alors un appui décisif à la science d’observation, à la science qui devait produire un jour Copernic et Galilée. Il fallut ce secours de la théologie pour faire triompher le système savant de Ptolémée contre un enseignement hellénistique contraire à tous les faits expérimentaux et uniquement occupé de conserver par tradition les sphères homocentriques d’Aristote. Un évêque de Lisieux, Nicole Oresme, inventa alors, le premier, en 1377, le système de Copernic et