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arriveraient les renforts. Or, les divisions engagées étaient réduites à de très faibles effectifs ; d’autre part, l’arrivée des renforts ne pouvait pas être espérée avant un délai de plusieurs jours. On décida donc de continuer le repli à l’Ouest, à travers l’ancien champ de bataille de 1916, en se retirant sur les réserves. Le 23 au matin, le 19e corps reçut l’ordre de repasser la Somme. A sa gauche, en conformité avec lui, le VIIe corps se replia à l’Ouest de la Tortille. Cette journée du 23 est assez obscure. Il semble bien qu’on avait l’intention de défendre encore les passages de la Somme. Dans la matinée, comme on l’a dit, l’état-major du 19e corps s’établissait à Foucaucourt. J’ai vu dans la même matinée de l’artillerie lourde qu’on établissait dans la région de Marchelepot. D’autre part, la droite de l’armée semblait assez calme. Nesle, à une lieue seulement à l’Ouest de la haute Somme, n’était pas bombardé. Un ordre parfait régnait dans toute la région. On voyait déménager des hangars d’aviation, des camps de prisonniers, mais d’une façon régulière et sans précipitation. Les routes n’étaient pas encombrées. On rencontrait çà et là le triste convoi des émigrans, emportant sur une charrette leurs matelas amoncelés et quelques meubles. Un vieux marchait à la tête du cheval. Les femmes suivaient à pied, et derrière elles les enfans. Ces pauvres gens étaient tristes et graves, mais on ne voyait sur leurs faces fermées aucun signe de désolation ni de terreur. Parfois dans les villages abandonnés, on rencontrait des anciens, que rien n’avait pu arracher à leur maison. J’ai vu un-vieux paysan, assis sur un mur bas, qui était la plus tragique figure de l’obstination. Il y en a qu’on entraîna de force, qui s’échappèrent et qui revinrent chez eux, préférant les obus à l’exil.

Que se passa-t-il dans cette journée du 23 ? Les divisions en ligne n’étaient plus qu’un rideau. L’ennemi attaquait sans cesse, déplaçant ses forces. On avait donné l’ordre de tendre entre l’Ancre et la Somme une ligne Albert-Péronne, puis d’organiser la Somme en amont de Péronne. A gauche d’Albert… la ligne de défense aurait rejoint Arras par Gommécourt, Blaireville et Beaurains.

Mais ni la ligne de la Somme, ni Péronne qui en est la clé ne purent être conservées. L’ennemi passait au Sud de Péronne. Mais c’est au Nord de la ville qu’il porta le 24 son principal effort. Il occupa ce jour-là, sur la route Péronne-Bapaume, la