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Or, les « Kanons » sont à environ 12 kilomètres du front, à l’intérieur des lignes allemandes. Les pièces d’A. L. G. P. qu’on a pu amener pour les contrebattre, si elles n’ont trouvé de bonnes positions qu’à 5 ou 6 kilomètres du front, doivent donc tirer à près de 18 kilomètres. Un tir précis et efficace, sur un objectif aussi étroit et limité qu’une pièce, est donc très difficile dans ces conditions, et l’on ne peut espérer obtenir un résultat décisif à cet égard, — en mettant à part le cas du « coup heureux » qui semble s’être produit il y a quelques jours, — qu’en multipliant beaucoup le nombre de ces canons qui tirent et celui des obus à gaz qui, contre les batteries, sont aujourd’hui les plus efficaces, car ils rendent intenable pendant quelque temps le terrain voisin de leurs points de chute. L’efficacité de nos contre-batteries est d’ailleurs nettement démontrée par la raréfication du tir du « Kanon » qui est devenu ainsi beaucoup plus un objet de curiosité ou un sujet de conversation qu’un épouvantail. C’est d’autant plus méritoire qu’autre chose est de tirer sur un objectif de quelques mètres, autre chose, d’en atteindre un de plusieurs kilomètres comme Paris.

Nous avons vu que l’obus met trois minutes pour venir à Paris. Le coup du départ, si on l’entendait ici, n’arriverait que trois autres minutes plus tard. Il y a d’ailleurs un autre phénomène acoustique causé par le Kanon et qui a causé dans la banlieue Nord-Est de Paris quelques singulières méprises : c’est l’ « onde de choc » dont j’ai déjà parlé ici même, qui est causée par le choc des obus contre l’air, lorsque leur vitesse dépasse celle du son et qui accompagne l’obus comme un sillage acoustique. Grâce à cette fausse détonation, qui frappe l’oreille des personnes situées sous la trajectoire, certains habitans de la banlieue ont pu croire à l’hypothèse de l’ « obus-gigogne, » et beaucoup d’autres ont été convaincus que le « Kanon » est tout près d’eux. Il faut se méfier de ces illusions acoustiques.

Parfois il n’est pires sourds que ceux qui veulent entendre.


CHARLES NORDMANN.