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poussait à s’affranchir, soit de l’Allemagne, soit de la France, les amenait, tout doucement, à se resserrer les uns contre les autres, et à chercher tous ensemble, dans un contact qui sans doute demeurait susceptible de heurts, les statuts d’une vie commune.

Les populations aimaient cette politique : un instinct raisonné, fondé sur le sentiment de leurs nécessités économiques, les y inclinait. Postées sur la grande avenue commerciale qui reliait la France à la Germanie et l’Italie aux ports de la mer du Nord, elles sentaient qu’elles ne profiteraient de ce prestigieux avantage que si, politiquement parlant, elles acquéraient une personnalité. Elles ne voulaient pas que leur territoire fût réduit à n’être qu’un lieu de passage, grevé de servitudes onéreuses par la proximité des grands États ; elles voulaient que l’on comptât avec elles ; et, puisqu’une vocation géographique les appelait au rôle d’intermédiaires entre la France et la Germanie, entre le Nord et le Midi, elles tenaient, non point à subir ce rôle, mais à le jouer activement, et à ce qu’il leur fit honneur, et à ce qu’il devint pour elles une source de grandeur. Et cette ambition des populations, corrigeant et dirigeant l’ambition des féodaux leurs maîtres, provoqua là-bas, dès le XIIIe siècle, une ébauche de politique nationale.

On a pu désigner ainsi, — et le terme n’est pas trop fort, — la politique que suivit, entre 1261 et 1294, Jean Ier, duc de Brabant[1]. Il était le cadet d’un frère débile ; leur mère à tous deux s’inquiétait du beau duché. « Consultez les Brabançons, » lui dit saint Thomas d’Aquin ; et ceux-ci se déclarèrent pour Jean, qui fut ainsi comme l’élu de son peuple. Tout de suite, en bon chevalier, pour que la voie fût libre entre Cologne et Bruges, il nettoya les routes de la Meuse et du Rhin, et puis il s’adjugea le Limbourg, dont Rodolphe, de son droit d’empereur, prétendait disposer : la suzeraineté germanique en terre belge fut ainsi, de fait, annulée. Il avait avec lui tous les bourgeois de ses bonnes villes, qui savaient que derrière lui c’était pour eux-mêmes qu’ils se battaient. D’autres bonnes villes, aussi, frémissaient à l’unisson : c’étaient celles des Flandres, qui détestaient que sur les lisières germaines de la Belgique, de grands ou petits brigands cherchassent noise au cortège des

  1. Maurice des Ombiaux, Revue belge, 15 janvier 1918, p. 90-102.