Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/553

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’accroissement continuel de la race en rend les effets presque insensibles. Les neuf cent mille ouvriers du Japon, dont plus de cinq cent mille sont des femmes, se sentent comme perdus au milieu d’une population qui s’élève à cinquante-deux millions. Et de tous ces ouvriers, combien y en a-t-il qui restent ouvriers dans le même établissement et dans la même industrie ? Les enquêtes établissent que les patrons ne les gardent en moyenne qu’un an et demi ou deux. C’est un perpétuel va-et-vient qui ne permettrait à aucune de leurs associations de résister, si même ces associations n’étaient point illégales. Les corporations patronales, les seules que la loi reconnaisse, n’ont devant elles que des nuages errants de poussière d’hommes. Aussi les grèves minières qui, depuis 1907, nécessitèrent à plusieurs reprises l’intervention de la troupe et qui s’accompagnèrent de pillages, d’incendies, de bombes et de dynamite, ont-elles toujours été rapidement vaincues et sans profit pour la cause du prolétariat. On découvrit en 1910 un complot contre la vie de l’Empereur où une trentaine de socialistes furent impliqués. Les Japonais qui m’en parlèrent prétendaient que la police en avait exagéré l’importance et que, devant le nombre des condamnations à mort, l’opinion publique en avait jugé la répression excessive. La vérité est que le socialisme n’a fait aucun progrès apparent au Japon. Le drapeau rouge promené en 1907 dans les rues de Tokyo n’a pas eu plus de succès que les bannières de l’Armée du Salut qui s’y déployèrent la même année sous la conduite du général Booth, fraîchement débarqué à Yokohama. Mais il est à craindre que la sévérité impitoyable de la police et que l’inhumanité des industriels, — qui, d’ailleurs, ne sont pas beaucoup plus inhumains que les anciens samuraï à l’égard des gens du peuple, — ne suscitent de temps en temps chez les travailleurs les plus pressurés des explosions de nihilisme.

Si tant d’usines et presque toutes les filatures ne recrutaient la majeure partie de leur personnel parmi les femmes et les enfants, ces explosions se seraient déjà produites, car l’ouvrier japonais, apathique et irascible, a de longues passivités entrecoupées de fureurs malaises. Son travail ne l’attache ni ne l’intéresse, sauf quand le patriotisme le lui commande. Il n’y apporte pas ce désir du bien qu’on admire dans l’œuvre des petits artisans, qui ne dépendent que d’eux-mêmes. Mais il