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ni l’un ni l’autre, mais il se montrait respectueux de l’un et de l’autre. Comme cette obéissance filiale, qui ne se fonde ni sur la raison, ni sur l’affection, est un héritage des siècles, les théories et les coutumes européennes mettront très longtemps à l’ébranler. D’ailleurs, les parents japonais sont si indulgents que souvent les ordres qu’ils donnent à leurs enfants ne sont que la forme impérative de leur empressement à les contenter.

Il n’y a guère qu’un point où ils soient intransigeants, c’est le mariage. On ne reconnaît pas à la fille le droit de choisir son mari ; on ne le reconnaît pas plus à la jeune femme divorcée ou répudiée qui est rentrée dans sa famille et que sa famille est impatiente de repasser à un nouveau maître. Le féminisme est resté aussi stationnaire que le socialisme. Sa manifestation la plus importante jusqu’ici a été de pétitionner près du premier ministre pour que le jour de naissance de l’Impératrice fût fêté comme celui de l’Empereur. Le luxe féminin a augmenté, et le nombre des bijoux, mais plutôt dans la classe moyenne que dans la haute société où la discrétion est toujours de rigueur et qui se sent surveillée. Après la guerre, la femme et la fille de l’amiral Togo avaient acheté des robes qu’un grand magasin vendait enrichies de perles et d’une poussière de diamans : les journaux leur rappelèrent rudement la simplicité du héros.

Il semble pourtant que les jeunes filles aient acquis plus d’indépendance ou du moins que leur allure soit plus libre, plus dégagée. Les écolières et les étudiantes ont adopté les bottines européennes qui changent presque complètement leur façon de se tenir et de marcher. Elles posent délibérément le pied sur la terre et n’ont plus la démarche un peu cagneuse des geta que l’on traîne. Elles ont abandonné les amples manches du kimono et la large ceinture, l’obi, dont le nœud en forme de coussin voûtait leur dos. Leur kimono a maintenant les manches serrées aux poignets ; et elles portent le hakama des hommes, ce pantalon de soie pareil à une jupe, qu’elles ont transformé en une véritable jupe fendue sur les côtés et retenue par une étroite ceinture. Ce costume féminin légèrement viril, et que la chaussure européanise, est un des plus gracieux qu’on puisse imaginer. À l’École normale supérieure des filles, j’ai assisté aux leçons de gymnastique, les seules, en somme, où il soit difficile de faire illusion. J’ai vu ces jeunes filles, tout en gris et la culotte bouffante, plier les jarrets, se