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Plus loin encore, c’étaient des instruments agricoles et des machineries modernes fabriqués au Japon, dont un spécialiste européen me faisait observer l’adaptation ingénieuse aux besoins du pays. On sentait partout l’effort unanime d’un peuple qui veut s’affranchir des produits de la main-d’œuvre étrangère et sauvegarder l’originalité de sa vieille civilisation dans les nouveaux cadres qu’il lui a imposés. Vitrines européennes et modes japonaises ; chambre japonaise assez large et assez haute pour hospitaliser des meubles européens ; outils d’Europe rendus plus maniables aux travailleurs du Japon ; et, à côté des derniers perfectionnements de la science, la vie japonaise d’il y a mille ans, si naturelle et si raffinée qu’elle n’a rien d’archaïque : tel est le souvenir que m’ont laissé cette Exposition et la nouvelle société japonaise.

Cette même impression d’unanimité, je l’ai eue dans mes voyages à l’intérieur. Je me trouvais en présence d’un peuple bien gouverné et de gens qui savent se gouverner eux-mêmes. Dans les gares la foule ne fait aucun bruit. Les trains arrivent et repartent à l’heure exacte sur les grandes lignes comme sur les lignes les moins fréquentées. L’Européen a cessé d’être un objet de curiosité. On ne l’interroge plus ; on ne cherche plus à savoir d’où il vient, où il va, ni pourquoi il y va… Il semble même qu’on ait peur de lui manifester un intérêt qu’il pourrait prendre pour un aveu d’infériorité. Cependant, là où je suis allé, à Matsué, par exemple, sur la côte occidentale, on ne rencontre guère d’étrangers. Lorsque j’en revins, je fus obligé de m’arrêter à la pointe du jour dans une petite station et d’y attendre pendant une heure le train de Kyoto. Je sortis de la gare, et je me dirigeai vers une maison de thé, encore ou déjà éclairée… Des femmes circulaient au milieu d’hommes endormis dont quelques-uns se réveillèrent. On me servit ce que je demandai, et personne ne fit attention à moi. Il n’en était pas de même jadis, où mon entrée dans une auberge réunissait toute la maisonnée, y provoquait d’intarissables commentaires. Le peuple japonais a toujours l’air d’obéir à un mot d’ordre. Autrefois il agissait comme si on lui avait dit : « Regardez bien les étrangers : voyez comme ils sont faits ; tâchez d’imiter ce qu’ils ont de bon et de surprendre leurs faiblesses. » Maintenant il se comporte comme si on lui disait : « Vous n’avez plus rien à apprendre