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crime pour lequel les lois n’admettaient aucune prescription. Ce système administratif n’encourageait pas l’architecture. C’était à qui se ferait le plus humble et le plus sordide. Quand on arrive au quartier japonais, la moindre maison, pourvu qu’elle soit vraiment japonaise, vous paraît une demeure habitée par les dieux.

Séoul, dans sa vallée, le vieux Séoul coréen, ne vaudrait pas mieux que Taïku ; mais il a ses portes monumentales et ses palais. Au-dessus de toutes les misérables cabanes, leurs beaux toits recourbés s’allongent dans l’air bleu comme des galères sur une mer immobile. Aucun faîte de temple ne leur dispute la sérénité du ciel. Les dieux, pas plus que les hommes, n’avaient le droit de lever la tête devant les rois de la Corée ; et les habitations autour d’eux rentraient sous terre. Cependant le dernier de leurs descendants, qui ceignit la couronne impériale, joue en ce moment au billard sous les yeux d’un fonctionnaire japonais. Il y jouait du moins lorsque je parcourus, dans son Palais de l’Est, les salles meublées à l’européenne, les seules qui soient ouvertes au visiteur. Je ne sais d’où vient le billard ; mais les fauteuils du grand salon viennent de France ; les tapis, d’Angleterre ; l’horloge, d’Amérique ; les poètes, d’Allemagne. Ceux-là, de l’avis même des Coréens, sont déshonorants. Il y a bien des bronzes, mais importés de la Chine et des paravents, mais importés du Japon. Le génie coréen s’est réfugié dans le parc à demi sauvage et dans les jolis kiosques peints, silencieusement enchantés au bord de leur étang.

Il hante surtout le vaste Palais du Nord, qui fut la résidence royale et qui s’étend au pied d’une abrupte montagne. Ce palais commence à tomber en ruines ; et les Japonais achèveront bientôt de le démolir. Les deux fois que j’y allai, je croisai des ouvriers chargés de ses débris. À l’entrée, deux tigres de pierre, deux bêtes fantastiques, qui devaient protéger l’auguste enceinte, demeurent intacts, comme les superstitions survivent à ceux qu’elles ont trahis. Les portes aux étranges toitures hérissées de fétiches, les terrasses et leurs balustrades de granit, les charpentes des édifices à la fois massives et délicates, composent une architecture d’origine chinoise, mais dont la sobre harmonie parait être purement coréenne. La salle du Trône, qui s’élève dans la seconde cour, est splendide. Ses colonnes de bois rouge, ses dragons et ses phénix d’or, ses caissons que le pinceau a finement brodés, en illuminent la