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ou scandaliser les sages. Mais, pieux descendant des chevaliers à qui l’honneur faisait du désintéressement un devoir primordial, il répond : « L’honneur de l’humanité réside dans un petit nombre d’abnégations, creuses quand on les pèse, sublimes quand on les sent. » (Ibid.) Fort de cette conviction, sûr de son devoir, il s’applique à résoudre le problème d’apparence insoluble qui s’impose aux aristocraties : servir, pour perpétuer un passé de dévouement ; et, pour servir, s’adapter au présent, deviner, accepter, préparer l’avenir. Et sur ce grand seigneur avide d’action généreuse, voici que fond la maladie perfide, fourrière de la mort. Le seul sentiment de sa déchéance physique et de son impuissance morale suffirait à faire de lui un personnage tragique. Mais ce n’est pas assez, et voici qu’on le précipite dans le drame le plus effroyable. Ce Chantemelle, si soucieux de la pureté de sa race, découvre que son fils est peut-être son frère, et que son monstrueux mariage lui fut imposé par son père, avec la complicité de sa sœur. Ainsi s’effondrent, dans son cœur dévasté, toutes ses affections et tous ses respects.

Pas un reproche cependant, pas une plainte. La tragédie dont il est la victime met en jeu, il le sent, plus que des personnes : une tradition séculaire. Alors il retourne, pour mourir plus vite, au berceau de sa famille, heureux de donner encore un exemple de « dévouement aux idées. » Cet exemple, il le continue par-delà la mort. Son testament pardonne et ordonne. Il pardonne à son père, à sa sœur, à sa femme. Il ordonne la vie de son fils, futur duc de Chantemelle. Avec une audace singulière enfin, il concilie son horreur du mensonge et son souci des responsabilités précises : « Plus tard, quand l’héritier de mon nom sera un homme, j’exige que Claire lui conte comment je suis mort, comment ses grands-parents, sa tante, sa mère se sont immolés pour que lui, petit être chétif, garde un nom respecté. Il comprendra que ce nom, transmis par une monstruosité, doit être porté avec une dignité surhumaine. » (Les Fossiles.)

Albert Donnat n’est pas comme Robert une victime innocente. Mais, dans son désir d’expiation, il nous entraine plus haut encore. Le drame où il se débat est d’un autre caractère, d’une autre portée que celui des Fossiles. Plus d’intérêts personnels ni d’ambitions familiales. Les droits mêmes de la