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toutes les intempéries, nuit et jour, s’est hâlé ; la première fois qu’il est revenu au pays, après les premiers mois de guerre, on a été surpris de la transformation. Une singulière assurance dicte ses gestes lents et utiles ; tout le visage a pris cette impassibilité parfois un peu goguenarde qui frappe non seulement par sa force, mais par sa bonhomie. Son type n’est donc pas seulement moral, mais physique et doit tenter le peintre.

Il le doit d’autant plus qu’il est à créer. On chercherait vainement sa ressemblance parmi les portraits du premier Empire, de Gros, de Gérard, de Géricault, chez ces héros campés avec des airs de défi, le poing sur la hanche ou domptant des coursiers fougueux, la main sur la poignée du sabre, comme prêts à dégainer, la tête relevée par un vif sentiment de leur valeur et aussi un peu par le hausse-col, les boucles de leurs cheveux déroulées au vent de la bataille, de petits favoris impertinents au coin des joues, sourire en conquérant au coin des lèvres, galants et querelleurs point du tout pensifs, se confiant en la pensée géniale qui travaille pour eux. Tel n’est point du tout le « poilu. »

Vainement chercherait-on sa ressemblance, encore, parmi les portraits d’Horace Vernel ou d’Yvon, le chasseur d’Afrique ou le spahi qui enleva la Smala, le zouave qui planta le drapeau sur le Mamelon Vert, — le cavalier qui chargea derrière Galliffet, — type déjà un peu plus bronzé, cuit au soleil d’Afrique ou du Mexique, mais conquérant encore et fait pour plaire, avec ses accroche-cœur et ses moustaches provoquantes, leste, sanglé dans sa tunique plissée à la taille, doré sur toutes les coutures, étincelant, témoignant nettement qu’il est d’une caste spéciale, la caste militaire, façonnée et formée selon un gabarit étroit, non peut-être tant par la guerre que par la vie de garnison en pleine paix. Ah ! combien est différent le « poilu ! » Encore moins trouverions-nous sa préfiguration chez les chapardeurs de Callot, les gentilshommes de Martin, de Lenfant, de Blaremberghe, chez les partisans de Tortorel et Périssin. C’est donc un type à créer.

Point n’est besoin pour cela d’un tableau de bataille : un portrait suffit. La seule figure du Colleone ou de l’homme appelé le Condotiere évoque tous les combats du XVe siècle ; nous n’avons pas besoin de voiries gestes de tel reître d’Holbein pour savoir ce dont il est capable et dans le seul ovale d’une