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tête de Clouet s’inscrit l’implacable fanatisme qui annonce les drames de son temps. Ainsi du poilu. Mais ce portrait peut être saisi a quelque moment typique, à la minute même où la tension des nerfs est à son maximum, où toutes les énergies affleurent à l’expression, où l’acte, enfin, dont l’attente se lit sur le visage, va s’accomplir, c’est-à-dire quand le « poilu » est le plus lui-même. Nous attendons le grand artiste témoin direct, observateur lucide et pénétrant, qui saura rendre ce qu’il a vu sur les visages à la dernière minute avant la sortie de la tranchée, pour l’assaut, — lorsque l’artillerie cesse ou allonge son tir, les officiers regardent l’heure à leur poignet, chaque seconde qui s’écoule réduit la marge entre la vie et le mortel inconnu. Là, un portrait ou un groupe de portraits, je veux dire des « têtes de caractère » profondément étudiées peuvent nous révéler la bataille infiniment mieux que toutes les mêlées de Le Brun ou de Van der Meulen.

Pour saisir ces caractères, un dessin serré est nécessaire. Il les révélait, déjà, dans les faucheurs au repos de M. Lhermitte, dans les Bretons en procession de M. Lucien Simon et si on les avait mieux regardés, jadis, on eût été moins surpris des vertus d’endurance, d’abnégation, d’obstination, qu’on a découvertes chez nos soldats. Elles étaient lisiblement inscrites dans ces figures du temps de paix. Aujourd’hui, pour y ajouter tout ce qu’y a marqué la guerre, une étude minutieuse de tous les indices physionomiques s’impose. On peut la concevoir selon des techniques différentes, mais la technique impressionniste y serait tout à fait impropre. À force de barioler un visage des reflets lumineux de toutes les choses qui l’entourent, de le diaprer, le balafrer et le moucheter, elle finit par le faire ressembler au paysage ambiant plus qu’à lui-même. C’est un camouflage. Excellent pour dissimuler un canon ou une automobile, c’est un procédé tout à fait détestable pour révéler un visage, surtout un caractère. C’est proprement le contraire qu’il faudrait.

Voilà pour le « poilu, » mais la physionomie du poilu, pour être la plus voyante, n’est pas le seul type de combattant né de cette guerre. Celui de l’aviateur, par exemple, n’est guère moins neuf, ni moins caractérisé. Il l’est, d’abord, par sa jeunesse, puis par son air sportif qu’il a gardé comme une élégance au milieu des plus pénibles tâches et des plus tragiques