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dehors de l’humanité : « Partout il y a des hommes ; à Chomotov il y a des Allemands[1]. » C’est le refrain que chantent les petites filles de Bohême :


Jamais je n’épouserai un Allemand,
Plutôt rester vieille fille toute ma vie !


C’est mainte scène de boycottage commercial que les voyageurs français ont pu observer dans les bourgs tchèques : s’il y a deux magasins, l’un tchèque et l’autre allemand, et si le magasin tchèque est fermé ou manque d’un article même nécessaire, le bon Tchèque aime mieux s’en passer que d’aller chez l’Allemand. C’est enfin une strophe du beau chant national, Hej Slovane, de cette Marseillaise slave, si entraînante et si résolue :


Notre langue, c’est un don de notre Dieu, le maître de la foudre :
Que nul au monde ne se mêle de nous la ravir,
Quand bien même il y aurait autant d’Allemands que de démons en enfer.
Dieu est avec nous : celui qui est contre nous, que le diable l’emporte !


Certes, voilà un peuple qui sait ce que valent ses terribles voisins, qui s’en défie et les hait congrûment. Et en revanche, la France est, depuis longtemps, aussi aimée en Bohême que la race germanique y est honnie. Négligeons, si l’on veut, la cordialité accueillante dont tous nos voyageurs ont trouvé à Prague le touchant témoignage ; ne retenons que deux faits essentiels. A deux tournants très importants de l’histoire européenne, le peuple tchèque s’est proclamé solidaire de la France, en des occasions où il y avait quelque mérite à le faire, et ces deux manifestations méritent d’autant plus d’être rappelées qu’elles sont comme la préface, comme l’explication anticipée de sa conduite actuelle.

La première date de 1870. Ceux qui, alors, ont tant souffert de voir la France, non seulement vaincue, mais délaissée par le monde entier, — et l’on se rappelle les vers admirables de l’Année Terrible où Victor Hugo a exhalé cette poignante

  1. Chomotov, — que nos géographes ont la naïveté d’appeler à l’allemande Komotau, — était dès le XIVe siècle victime d’une de ces néfastes immigrations germaniques que nous connaissons trop bien.