Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/664

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croître à proportion de la résistance qu’elle doit vaincre.

Mais si le colonel Hougard n’est jamais en défaut de décision devant les actes, nous craignîmes longtemps que son indulgence envers les hommes fût excessive, tant il semblait plus prompt à les comprendre qu’à s’en méfier. Il fallut pourtant reconnaître qu’il ne se laissait point tromper, et savait être impitoyable. Le jugement, garanti par l’examen et l’attente, ne cédait pas en netteté au plus impérieux verdict.


Là encore, le second exemple s’égalait au premier, sans cesser d’en être profondément distinct. Au risque de laisser les deux enseignements s’entre-détruire, il devint indispensable de trouver une formule conciliante. La logique veut attribuer à des causes semblables des effets équivalents. Mais on ne pouvait douter que le colonel n’eût aucune foi religieuse : il parle des choses divines avec une aisance, une absence de rancune, plus graves que tous les blasphèmes ; on sent qu’il ne leur reconnaît aucun mystère et les aborde pour ainsi dire de plain-pied. Je tentai d’imaginer une foi d’autre sorte qui pût être aussi agissante. C’était m’engager sur une piste vaine. Toute foi superpose aux réalités une signification qui les masque, montre au lieu de la souffrance, la rédemption, au lieu de la faute, l’offense, au lieu de la mort, l’autre vie.

Or, rien n’est plus strictement appliqué à son objet que les intentions du colonel à ses actes. Il est intrépide, parce que le sacrifice absolu de sa vie est impliqué dans le lien militaire ; et il a accepté ce lien parce qu’il le trouve beau, comme on aime un parfum, et comme il aime son pays, de naissance. Il sait l’homme perfectible par l’effort ; c’est pourquoi il s’est adonné depuis l’âge d’homme à devenir un officier, que la guerre a trouvé en pleine maîtrise de soi.

Entièrement dégagé de la pénombre où se plaisait sa modération, ce caractère révélait donc, lui aussi, une profonde unité. il lui manquait encore d’être affilié à une tradition qui le couvrit de son prestige. Je lui souhaitai des aïeux : il en eut. Avant les apôtres et les docteurs, je me souvins qu’il était des soldats de Gaule pour qui s’exposer était une volupté, des citoyens de Rome qui tenaient pour perdu de honte celui qui ne se possédait pas dans le danger et dans la vie.