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Mais les plus grandes mers ont des rivages. Alors, que ne réserverait-on aux États riverains l’usage des océans qui les baignent? Et nous sentons bien que l’argument présente une pointe de paradoxe, mais il contient, comme tout paradoxe, une âme de vérité. Le droit ne se mesure pas à la largeur d’une nappe d’eau ni à la hauteur d’une montagne ; il est le droit à travers toute largeur et par-dessus toute hauteur. Un principe n’est pas un principe sur le cours inférieur d’un fleuve et ne cesse pas de l’être sur son cours supérieur; il est partout, au même titre, au même degré, un principe. Mais considérons un instant les faits. Si la thèse de l’Europe centrale était définitivement admise, si elle la faisait triompher à la paix générale, elle serait la maîtresse absolue de tout le commerce du continent, qu’elle couperait en diagonale, par le Rhin et par le Danube, de la mer du Nord à la Mer-Noire, drainant, comme entrepreneur exclusif de transports à bon marché, non seulement ses propres produits, non seulement les produits européens, mais ceux de tout l’univers qui afflueraient aux deux embouchures, d’Occident en Orient, et de l’Extrême-Occident à l’Extrême-Orient. Danger d’autant plus redoutable que le bloc de l’Europe centrale, avec ses annexes ou ses antennes, la Bulgarie, la Turquie, se condense de plus en plus autour de l’Allemagne; que l’Europe centrale, n’est plus une fantaisie poussée dans la cervelle du professeur Naumann, mais a déjà passé et passe de plus en plus dans les réalisations diplomatiques.

A cet égard, l’entretien que les empereurs, Guillaume II et Charles Ier, ont eu au quartier général allemand pourrait avoir de grosses conséquences. Le communiqué par lequel on nous l’a fait connaître, avec une solennité un peu théâtrale, le révèle, en y insistant : « Entre les hauts alliés et leurs conseillers (le chancelier de l’Empire allemand, Hindenburg, Ludendorff, M. de Kühlmann, le comte Burian, le chef d’état-major autrichien von Arz, le prince de Hohenlohe, tout le dessus du panier), ont eu lieu une discussion cordiale et un échange de vues détaillé sur toutes les questions importantes, politiques, économiques et militaires, se rapportant aux relations présentes et futures des deux monarchies entre elles. On est arrivé à un accord complet sur toutes les questions. On a décidé d’élargir et d’approfondir l’alliance actuelle. » Assurément, il serait facile d’épiloguer. Comment une alliance qui, ayant entraîné dans la guerre la plus épouvantable de tous les siècles l’Autriche-Hongrie, complice et instrument de l’Allemagne, l’a enchaînée à l’Empire allemand et fait des Habsbourg les vassaux des Hohenzollern; cette