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alliance, vieille de quarante ans, retrempée dans le sang, creusée et scellée à trois reprises par le secours du plus fort sauvant au dernier moment le plus faible, envahi, affamé, ruiné, menacé de démembrement, comment pourrait-elle être encore « élargie et approfondie? » Elle est large comme la misère et profonde comme le tombeau.

Pourtant cet élargissement, cet approfondissement, ou, tout au contraire, ce resserrement de l’alliance en domination et de l’allégeance en servage est fatale. Seul un coup d’œil par trop superficiel, seule la mauvaise foi qui anime et envenime nos disputes de politique intérieure, n’y verraient qu’un effet fâcheux d’une polémique récente. Personne ne croira, et il conviendrait de plaindre quiconque le croirait, que ce soit une imprudence de langage de M. Clemenceau qui ait jeté l’Autriche-Hongrie plus avant dans les bras de l’Allemagne. Quelque crédit qu’on fasse à sa réputation d’homme terrible, et quelques chutes qu’il ait provoquées, son pouvoir ne va probablement pas jusqu’à changer la pente des choses et contraindre les empires à la descendre, s’ils tendaient à la remonter. Mais précisément la pente des choses emportait l’Autriche sous l’hégémonie allemande. Ce qui se produit au début, du XXe siècle est l’aboutissement de ce qui s’est passé durant le XIXe. Est-il besoin de rappeler la longue émulation de l’Autriche et de la Prusse dans la Confédération germanique ; pendant la première période, la prééminence de l’Autriche, la désignation primitive de l’archiduc Jean comme lieutenant général ou vicaire de l’Empire à ressusciter; l’Autriche d’abord à la tête du parti de « la grande Allemagne ; » au deuxième acte, la Prusse le faisant, en face d’elle, le chef du parti de la petite Allemagne, de l’Allemagne sans Autriche après la guerre des Duchés danois, de l’Allemagne contre l’Autriche à Sadowa; au troisième acte, dès 1866, la Prusse ménageant l’Autriche, la caressant en 1870, l’attirant à elle en 1879, de jour en jour l’embrassant plus étroitement, et la ligotant, l’étouffant de ses embrassements ? La mainmise de l’Allemagne sur l’Autriche a été préparée de longue date par les pangermanistes du dedans et du dehors, c’est-à-dire d’Autriche et d’Allemagne, ceux du dedans plus ardents, plus impatients même que ceux du dehors. Quant à la Prusse, devenue sans rivale en Allemagne, architecte et artisan non plus de la petite, mais de la grande Allemagne, elle s’apprête à savourer la revanche d’Ollmütz. Par une espèce de compelle intrare, l’Autriche est réintégrée dans une Confédération du rude style berlinois. On l’en avait exclue pour bâtir l’édifice de l’Empire allemand, on l’y fait rentrer pour le couronner. Par elle, on va planter là-haut la