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que chaque jour renouvelle. Un écho s’éveille en lui pour les plus intimes battements de ces cœurs obscurs. Il demande à sa mère qu’elle cherche pour les isolés des marraines : « pour ces pauvres garçons, » ajoute-t-il, « à qui la moindre douceur d’une personne inconnue mettrait des larmes aux yeux. » Sentant ainsi qu’il était bien fait pour comprendre le mot sublime de mâle charité que lui dit dans le ravin d’Haudromont un capitaine Tizon dont le nom mériterait de ne pas périr, à cause de cette seule parole, Raymond Jubert était donc dans ce ravin, avec sa section, pour quelle besogne, le colonel ne le lui avait pas caché : « Vous avez là une mission de sacrifice. C’est ici le poste d’honneur où ils veulent attaquer. Vous aurez tous les jours des pertes, car ils gêneront vos travaux. Le jour où ils voudront, ils nous massacreront jusqu’au dernier. Et c’est votre devoir de tomber. » Quelle consigne, et qui écarte de ces « condamnés de la mort, » comme ils s’appellent eux-mêmes, jusqu’aux hommes de corvée ! « Ils nous arrivaient de nuit, » raconte Raymond Jubert, « moins soucieux de nos besoins que de leur sécurité, et le contrôle de leur charge leur semblant inutile, ils fuyaient au plus vite. » Le capitaine Tizon, lui, s’obstinait à les visiter tous les soirs. Il fallut, une fois, pour lui faire passage, déblayer la tôle et l’abri écrasés par un obus. « Vous vous ferez tuer un de ces soirs… » lui disaient ceux qu’il venait visiter ainsi… « la route n’est pas sûre. » — « Je veux que vous sachiez que vous avez encore des amis, » répondait le capitaine avec un sourire dont on devine la magnanime pitié. Il fut tué en effet, mais un peu plus tard, à Raucourt. N’est-ce pas le cas de répéter l’exclamation que l’héroïsme du brave d’Hautpoul arrachait à Marbot : « Quelle époque et quels hommes ! »


IV

Ce Verdun, auquel j’arrive enfin, abonde en détails pareils. Dans un projet de dédicace à ses généraux, Raymond Jubert définissait lui-même son livre une œuvre de résignation virile et de franchise triste. Il insistait : « Je ne prétends pas donner une idée générale de la bataille de Verdun… Notre action est si misérablement petite et restreinte dans d’aussi formidables événements !… Nos imaginations, dans un combat, se groupent