Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/744

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas dans la nature comme un empire dans un empire, que l’esprit procède de l’esprit, la pensée de la pensée, l’amour de l’amour. « Quod factum est in ipso vita erat. — Tout ce qui a été créé était vivant déjà dans ce qui l’a créé. » Cette phrase de l’Evangile qui se lit à la fin de toutes les messes emporte avec elle cette affirmation qu’il y a une correspondance entre notre âme et la force souveraine d’où elle émane. Soyons donc assurés qu’en dehors de l’action immédiate et visible, tant de douleurs acceptées, tant d’existences offertes, tant d’holocaustes sanglants ont leur retentissement ailleurs. Je disais « l’enfer de Verdun, » et j’avais tort. J’entends Mgr Ginisty, l’évêque de la ville martyre, protester : « Non ! » s’est-il écrié dans un de ses discours : « Non, chers soldats, non, chers exilés, ce n’est pas l’enfer… Dites plutôt que c’est le calvaire de Verdun ! Car c’est là que s’opère le salut de la patrie, comme au Golgotha s’est opéré le salut du monde. » Cette phrase qui dresse la Croix au-dessus de l’héroïque champ de bataille aurait pu servir d’épigraphe à ces pages. En nous léguant son Verdun comme un testament, l’humble sous-lieutenant de la côte de Froide-terre et du Mort-Homme a « servi » la cause de l’âme, comme il avait « servi » celle de la patrie. Qu’avait-il rêvé d’autre avant de quitter la plume d’écrivain pour l’épée et la toge d’avocat pour l’uniforme ? Que cette évidence soit, sinon une consolation, du moins une douceur pour les nobles parents qui, n’ayant que ces deux fils, les ont donnés, comme dit cette même image mortuaire, à Dieu et à la France.


PAUL BOURGET.